L'empire contre-attaque (Abri Aaron)

Après plusieurs minutes – heures ? Années ? Qui savait après tout ? - à m’acharner sur mon œuvre, faisant et défaisant mes nœuds et prenant conscience de mon manque d’expérience dans le cordage, j’en voyais enfin le bout. La structure, semblable à un bon grillage bien solide et assez souple, était imposante. Je regardais mon travail, m’étirant tout en craquant les os de tout mon corps. Une partie importante de la tâche avait été effectué. La nuit était bien tombée depuis, mais j’allais pouvoir, si tout continuait sur cette lancée, dormir à l’aise. Déjà, un fin crachin m’agressait le visage. Inutile de dire que j’ignorais tout de la météorologie du digimon, mais que je ne voulais pas risquer de me prendre une averse sur le coin du nez.

Mon attention se posait sur Zurumon. La créature, elle, s’acharnait à vouloir couper avec précision les bambous en pointe, quitte à se fatiguer encore plus. Sa vaillance me touchait. Il voulait faire au mieux, surtout pour me satisfaire. Pourquoi une telle allégeance ? Était-il comme un caneton ? Eux, ils s’imprégnaient de la première personne qu’il croisait et en faisait leur génitrice légitime. J’étais la génitrice de Zurumon ? Je chassais cette image – un peu sordide et tordu, avouons-le – de mon esprit. Ce n'était pas le moment de tarauder avec des questions pour lesquelles je n’avais, de toute façon, aucune réponse à ma portée. Il me fallait simplement une bonne nuit de sommeil, reprendre des forces pour mieux repartir en expédition demain.

« C’est bon, Zurumon, n'insiste pas. Merci de ton implication déjà ! »

Je me levais, époussetant mon pantalon bien crade. Surprit, Zurumon recula dans la hâte, mais je cherchais simplement à attraper le quadrillage en bambous. Difficilement, je réussis à le redresser, m’aidant du côté pointu comme d’un levier de fortune. Il me restait maintenant plus qu’à le planter dans le sol. En tant normal, la tâche n’aurai pas du tout était compliqué. Mais là, épuisé et éreinté que j’étais, cela me prit plusieurs minutes de simplement mettre la structure en position de demi-sphère autour d’un grand arbre.

Après m’être attelé à la faire tenir correctement, je m’attaquais, sans discontinuer, à la recouvrir. Un rapide coup d’œil me permit de voir qu’il me restait encore quelques lianes. Très bien, elles allaient me permettre de faire tenir les feuilles en place. Si je m’y prenais bien, je n’allais même pas être obligé de nouer chaque branche, mais simplement me contenter d’en attacher une sur trois. Et tant pi pour la totale étanchéité. Je m’occuperai de le customiser demain. Tant qu’il nous protégeait pour la nuit, j’en demandais pas plus. Je commençais donc ma nouvelle œuvre, Zurumon m’apportant tant bien que mal les feuilles près de moi pour plus de facilité.

Modération:

Je fixais la dernière branche. Exténué, je laissais mes bras tomber le long de mon corps, balan au gré de leurs envies. Elle ne payait pas de mine, cette cabane, mais elle me paraissait toujours plus accueillante que la forêt en pleine nuit. Sans même parler, sans même se perdre en quelconques explications, Zurumon et moi entrions de concert se mettre à l’abri. Déjà, le digimon tombait de fatigue et s’endormait avant même que je ne puisse m’allonger. Il faut dire que, pour une première journée, ce n’était pas la moins éprouvante que l’on puisse imaginer. Je lui en avais demandé beaucoup mais, après tout, je n’en attendais pas moins de mon futur partenaire. S’il voulait devenir fort, je devais tout faire pour l’endurcir à ma manière.

Sur cette pensée, je m’allongeais à mon tour, à-même le sol terreux. De mon pied, j’avais essayé de pousser le maximum de déchets mais il en demeurait que je n’étais pas à l’aise. Ma nuque, aussi résistante, soit-elle, ne pouvait apprécier un confort si vétuste. J’essayais une centaine de positions avant de me rendre à l’évidence : aucune n’était plus appréciable qu’une autre. Je passerai, quoiqu’il arrive, une première nuit horrible dans le digimonde. Le début d’un calvaire qui, je l’espère, n’allait pas durer longtemps.

« Bonne nuit, Zurumon. »

Un murmure insidieux, que je laissais se perdre dans l’écho de cette forêt dangereuse. Je me sentais en sécurité ici. Je me sentais protégé par mille bambous tressés à la va-vite, arrosés de feuilles tout juste plus résistantes. Je passais la nuit, le bras engourdit. Zurumon, lui, n’émettait pratiquement aucun son en dormant, ce qui était assez perturbant. Il va sans dire que je n’étais pas de bonne humeur au réveil.

Modération: