Une aile froissée - AARON MCLEAN

Vous connaissez ce sentiment de gêne étrange que vous ressentez lorsque, perdu au milieu de nulle part, vous cherchez votre chemin à tâtons, avec pour seuls repères des arbres si particuliers qu’il vous est impossible de vous en servir de marquage ? Jusqu’à aujourd’hui, je pensais cette émotion réservée au commun des mortels, à la basse populace, à ceux destinés à être dirigé et non aux souverains. Moi, Aaron, le grand Aaron, j’étais épris de mille déboires et impressions contraires. Mon esprit divaguait entre la folle envie d’errer à jamais dans ces bois, laissant mon corps à la putréfaction de la nature et le besoin de me nourrir, si intense qu’il obstruait mes pensées.

J’avais laissé Zhuang un temps, et je m’étais décidé à partir en quête de victuailles. Déjà mon deuxième jour dans le digimonde et je n’avais toujours rien mangé. Certes, je pouvais m’abreuver de l’eau si pure qui composait la rivière, mais cela ne suffisait pas à tarir ma faim. Tout, dans ce monde, me paraissait danger. Je vivais sur le qui-vive et devais demeurer alerte du moindre signe particulier. Tant et si bien que je n’éprouvais maintenant qu’un lointain souvenir de ma vie d’antan, elle qui pourtant n’avait prit que quelques heures auparavant. Enfin, tout cela était relatif. La notion de temps, dans le digimonde, semblait biaisée. Les heures n’étaient que des fractions de secondes à mon regard, les secondes des années qui s’éternisaient.

Et cela n’était que conforté par l’idée que je ne m’étais toujours rien mit sous la dent. Sans me départir de ma recherche, j’observais d’un large regard les alentours. Des arbres, de la terre, des roches éssemées et tant d’autres lianes et fougères à perte de vue. Ce paysage, qui fascinait au premier abord par ses couleurs vives et si inhabituelle, était bien vite devenu pareil à un purgatoire qui ne cessait de raviver des souvenirs douloureux. En deux jours, j’avais eu le temps d’explorer quatre fois, en tout, cette forêt. Pour autant, je n’avais réussi à en établir aucune carte mentale, et je n’en avais toujours pas vu la fin. Si mon esprit n’était pas si rationnel, j’aurais pu penser que le relief était modifié durant la nuit par quelconque être surnaturels. Le panorama face à moi était des plus mornes : une simple allée de terre battue, étriquée par des arbres communs qui dansaient mollement au gré du vent. Le ciel, lui, n’était pas au beau fixe. Il se plaisait à se colorer de grisaille, n’éclairant que faiblement à travers les branches si hautes dans le ciel. Le tout donnait à la forêt un air mort, presque semblable à celui qu’on trouve près des cimetières, là où les âmes rejoignent le trépas.

L’écho lointain d’un bourdonement mit mes sens en éveil. Sa rumeur paraît proche et trahie incommensurablement les sifflements des feuilles et autres cailloux qui dévalent les pentes abruptes. Zurumon, qui traîne toujours entre mes jambes, se fondant dans la nature en disloquant son corps de mucus avant de se recomposer près de moi, émet un gémissement strident. Lui aussi me semble l’avoir entendu. Ce n’est donc pas que le fruit de mon imagination. Quelque chose, ou bien quelqu’un, est proche d’ici. Depuis ma rencontre avec l’enfant-taupe, je me suis surprit à penser que la présence d’autres humains pourrait m’être bénéfique. Tout d’abord, parce qu’un humain était facilement manipulable, mais aussi parce qu’il était accompagné d’un digimon et qu’il servirai de chair à canon en cas de danger.

Me sortant de ma stupeur, alors je me concentrais pour deviner la direction de cet étrange bruit, un grondement envahi l’espace. Comme une certitude, j’en déduis que quelque chose vient de rencontrer assez violemment un arbre. Je suis surpris par le sentiment fou de fuir. Ce ne sont pas mes histoires après tout. Mais, mon estomac vient rapidement me rappeler à l’ordre. J’ai faim, et, plus que tout, c’est cette envie-là qui dicte mes pensées.

« Viens Zurumon, on y va. Sois bien attentif à ce qu’il se passe autour de toi. »

La mine sombre, je m’élance, mon partenaire à mes trousses. Je suis conscient que je cours peut-être – sûrement même – en direction d’un danger. Qui sait ? Peut-être est-ce un de ces fameux digimon agressifs et surpuissants dont m’ont parlé Impmon et Zhuang ? Je devais rester sur mes gardes, aussi mobilisais-je chacun de mes muscles pour m’enfuir à toute vitesse en cas de besoin.

Modération:

J’étais capable de sentir chaque ronce qui déchiquetait en lambeaux ma chemise en lin. Cette dernière, blanche à la base, était aujourd’hui trempé de sueur et de crasse, après tout juste un seul jour passé dans ce monde de fou. J’avançais comme un forçonné, traversant les sillages d’une forêt trop agressive, essayant de percer à jour les secrets qu’elle pouvait renfermer. Zurumon, lui, avait bien plus de mal à me suivre. Ses gazouillements incessants, si stridents et violents, me parvenaient maintenant comme un lointain écho. Peu m’importe, je ne pouvais l’attendre. Émergeant d’une broussaille, la mine défraichie et l’estomac à la ramasse, j’arrivais près de l’endroit où j’étais certain avoir entendu le bruit.

Là, je trouvais une créature des plus étrange. Si similaire à un énorme insecte – enfin, c’est ce qu’il me fit penser au premier abord – rouge, dardé de purulent point noirs sur le dos. Ses yeux, immenses et vert, n’exprimaient aucune émotion palpable. Mais, contrairement aux coléoptères que j’avais pu chasser durant mon enfance, celui-ci n’était pas de taille habituelle. Il devait facilement mesurer plus d’un mètre et sa prestance n’en était que plus imposante. Le digivice – puisque je devais bien me résoudre à le nommer ainsi – brilla faiblement dans ma poche tout en émettant un bip sonore. Sur son écran s’affichaient les informations sur la bête. Il s’appelait apparemment Tentomon, était de type insecte – je m’en serai douté – et appartenait à l’attribut donnée. Je ne comprenais pas encore bien les tenants et aboutissants de ces attributs et il allait falloir que je me renseigne d’autant plus.

D’un regard lascif et intrigué, j’observais le digimon. Il ne paraissait pas agressif à première vue mais je restais sur mes gardes. Inutile de tenter le diable en me montrant trop entreprenant, aussi le laissais-je faire un début de conversation. Il se permet quelques questions, me confondant avec un digimon. Ah ! Il ne doit pas être au courant de l’arrivée des humains sur son monde. La nouvelle ne s’est peut-être pas encore bien répandue ? Quoiqu’il en soit, durant son monologue, j’observe deux choses. La première, c’est qu’il tient dans ses pattes/mandibules/trucs une sacoche et qu’il la serre bien fort contre lui. La seconde, c’est que son aile semble mal en point. Elle dépasse de son corps, abîmée, comme si elle n’avait pu correctement se replier.

Il finit par me demander de l’aide. Je perçois sa voix faiblement, toujours concentré sur son observation minutieuse. Cependant, je comprends qu’en échange de mes services, il s’engage à me donner des fruits. Si mon estomac n’avait pas autant crié famine, je devais avouer que je l’aurai laissé sur place. Seulement, je devais me résoudre, depuis hier, à ne plus m’attacher qu’à mes instincts primaires pour survivre. Il me fallait évoluer, m’adapter à ce nouveau monde et proposer une façade lisse et propre, si je voulais avoir un espoir de rester en vie le plus longtemps possible.

« Enchanté Tentomon, je m’appelle Aaron. Je pense que tu fais une erreur, je ne suis pas un digimon mais un simple humain. »

À ce moment-là, Zurumon arrivait à notre destination. Bien que la flaque de mucus acide soit inexpressive dans son faciès, il me paraissait essoufflé et affaibli par sa course. Sa couleur avait ternie, s’approchant d’un jaune très pâle désormais. Je décidais de ne pas m’inquiéter outre mesure pour lui. Peut-être avait-il tout simplement faim, après tout. Tentomon, lui, semblait s’impatienter de ma réponse. Que devais-je faire ? Quel visage lui afficher ?

« Tout dépend du service que tu veux que je te rende. Après tout, je me doute bien que les fameux fruits doivent être dans cette sacoche que tu sembles chérir. Qu’est-ce qui m’empêche de te la dérober et de m’enfuir avec ? »

Mon regard c’était fait froid. Aussi froid que l’ambiance glaciale que je venais d’imposer autour de nous. Il m’était impossible de mentir sur mes réelles intentions. Je restais sur mes gardes, prêt à agir si la situation s’envenimait. Peut-être le digimon serait-il impressionné et s’enfuirait ? Cependant, au fond de moi, je doutais que cette issue soit la bonne.

Modération:

Le digimon, ce fameux Tentomon, était un être arrogant et apparemment sûr de lui. Je souris intérieurement. Voilà enfin quelqu’un qui fonctionnait sur les mêmes schémas que moi. Il se savait fort et voulait le faire voir, surtout à un « humain » qu’il semblait mépriser. Cependant, il se trompait. J’étais bien plus qu’un humain. Loin de mes semblables, je m’élevais sur la masse pour n’être que la pureté divine d’une justice suprême que j’incarnais. Ou que j’incarnerai, plutôt. Car elle était loin encore, mon ascension réelle. Encore fallait-il que je me fonde un royaume. Des alliés sérieux et puissants, qui accepterai, comme moi, de renier leur patrie d’origine pour s’installer durablement dans le digimonde et, peu à peu, en prendre le contrôle. J’avais Zhuang pour le moment, mais le petit garçon n’avait encore rien d’un leader. Il fallait que je recrute.

Cependant, tout cela ne pourrait pas se faire l’estomac vide. Sur mes gardes suite aux avertissements de l’insecte énorme, je mis un temps avant de remarquer l’étrange lueur qui venait d’émaner du corps de Zurumon. Un flash rapide m’aveuglait et je fus obligé de tourner la tête pour ne pas me brûler la rétine. Ce n’est qu’à cet instant, après que mon digivice ce soit mit à vibrer intensément dans ma poche, que je pus observer la nouvelle apparence de mon compagnon de fortune. Il ressemblait désormais à une grosse tête rosâtre, avec deux oreilles exubérantes et un visage rondouillet à faire pâlir les bambins. Il sautillait sur place, n’ayant visiblement pas de jambes pour se déplacer. Un coup d’œil sur l’objet bleu toujours sur moi m’apprit qu’il se nommait Koromon.

Je n’eus même pas le temps de m’interroger plus longuement sur cette transformation que plusieurs nouveaux arrivants vinrent prendre part à la partie. Des êtres semblables à un fantôme sur quatre pattes, à la gueule affreusement grande et qui j’appris se nommait pour sa part Tokomon. Le flot d’informations à enregistrer était bien trop important. Je pris un instant ma tête entre mes mains afin de faire le point. D’accord, Zurumon avait changé de forme. Sûrement une sorte d’évolution, peut-être parce qu’il avait atteint une maturité suffisante ? Dans le même principe qu’une chenille se transforme en papillon donc ? Et ces nouveaux arrivants-là. Ils se disputaient maintenant avec l’insecte rouge, se dardant l’un et l’autre d’injures, l’un ayant soit disant piqué le repas de l’autre. Bon, je devais commencer par régler le souci entre ceux-là, avant de m’occuper du cas de Zurumon. Enfin, Koromon. Enfin, bref.

« Hey, fermez-là vous tous, je m’entends plus penser ! »

J’avais crié un peu plus que ce que je l’aurai voulu. Mon regard affichait une noirceur sans pareille, aussi profonde que les abysses du Tartare. Je détestais ne pas comprendre. Et là, je ne comprenais rien. Si je devais pour cela faire régner la loi par moi-même, il n’y avait aucun souci.

« Il se passe quoi entre vous ? Toi ! Tentomon ! Tu leur as volé leur fruit, c’est ça ? Ben putain, n’en faites pas toute une histoire ! C’est quoi, quelques fruits ? Z’avez qu’à vous trouver un autre arbre à fruit au lieu de nous saouler avec vos histoires de « nahnahnah c’est mon arbre ! Nahnahnah c’est moi qui l’ai vu en premier ». Z’êtes lourd sérieux. C’est quoi votre problème à tous, dans ce monde ? »

Bon, d’accord, j’avoue que je me suis un peu emballé, sur ce coup-là. Je mettrais ça sur le compte de la faim qui me tiraillait l’estomac depuis deux jours, mais aussi, et sûrement, parce que j’étais effrayé. Il n’y avait rien de normal ici. Et, même une situation banale de disputes entre deux êtres, me paraissait si improbable que je n’arrivais pas à gérer l’information. Une pulsion. Une pulsion folle m’envahit. Une envie, sournoise et puissante, de mettre un terme à la vie de ceux qui gênaient ma conscience. Mon regard vrilla. Mes yeux s’embuèrent sous l’effet de la rage. Je n’étais plus moi. Enfin, si, j’étais pleinement et entier, à cet instant. Mais une lumière m’apparut là où je ne l’aurai pas attendu.

« Aaron, et si tu me laissais gérer ça, pour cette fois ? »

Le brouillard devint brume. La lumière revint à mon esprit. Baissant les yeux, j’apercevais Koromon, qui me regardait avec patience. Venait-il de parler ? Celui qui, il y a quelques minutes, n’était qu’une flaque de liquide jaunâtre incapable d’émettre autre chose que des cris stridents, venait-il de prononcer mon prénom ?

« Tentomon, rend les fruits aux Tokomon s’il te plaît. Ne nous force pas à utiliser la violence. »

Modération:

Ma petite crise paraissait avoir fait son effet. Malgré tout, je n’avais pas joué la comédie, au contraire. Cette lassitude que j’avais accumulé depuis la veille n’était pas de celles que l’on pouvaient se targuer de n’être que simmulée. J’avais pris conscience, en cet unique instant, de l’aspect idiosyncratique de ma pensée. Je me déterminais à n’être que le simple héraut d’une cause que je semblais être le seul à défendre. Moi et mon égo, nous étions seuls dans cette galère, à espérer une possible porte de sortie dont on ne voyait pas le bout. Heureusement, le fraichement devenu Koromon était à mes côtés. Cet être de pures données qui avait avec lui l’expérience d’un monde qui m’était hostile. De plus, s’il continuait d’évoluer crescendo, il serai bientôt suffisamment fort pour espérer me défendre. Chose qu’il venait de faire, simplement par les mots. Il avait été cette lumière qui avait ramené mon esprit à la raison d’une simple parole. Il avait été ce guide à travers les méandres de ma folie. Si je le détestais pour cela, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver une certaine gratitude à son égard. Des sentiments contraires, comme je n’avais cessé d’en ressentir pour la créature.

J’étais plein de contradictions, après tout. L’entièreté de mon existence en était une énorme, d’ailleurs. Fils non désiré, enfant dont la seule nécessité était de reprendre la fortune patriarcale, j’avais grandis loin de mes proches. Le décés de ma mère, seule et faible face à la maladie, aucunement couverte pour ses frais médicaux, avait crée en moi cette envie de gouverner et d’accorder justice à ceux qui ne pouvait se l’octroyer. J’allais donc devenir, plus que l’hérault de mon unique cause mais bien celle de tout un pan du peuple, toute une partie de la population des différents mondes. Celle des faibles et des médisants. En tant que fort, il était de mon devoir de me positionner comme supérieur face à cette tâche quasi-divine dont j’avais décidé de me saisir.

Pendant que j’effectuais ma propre introspection, ressassant un passé bien trop douloureux pour qu’il revienne dans son entièreté à ma mémoire, les digimon face à moi continuaient leur querelle. Les Tokomon vociféraient face à un Tentomon qui tentait de se justifier qu’il n’allait pas réussir à se trouver un autre arbre et que, de toute façon, les petits digimons ne réussiraient pas à s’élever assez haut pour se saisir des fruits. Si son plédoyer n’était pas si irréfléchit, ses opposants arguèrent qu’ils attendaient simplement que les fruits les plus haut tombent de l’arbre pour qu’ils puissent les goûter. Encore une idée qui allait en faveur de la troupe de digimon si semblables à des fantômes étranges sur pattes. Décidemment, ce Tentomon était finalement le mauvais bougre de l’histoire, à en croire la situation actuelle. De plus, je comprenais bien vite que les Tokomon vivaient en communauté. Si je réussissais à m’en faire des alliés, ils pourraient servir ma cause dans le futur, m’étant redevable d’une quelconque manière.

« Tentomon, je penses que tu es le fautif de l’histoire. Je peux comprendre que la nourriture soit difficile à trouver dans ce monde, je suis moi-même à la recherche de vivres pour mes compagnons. Si tu le veux bien, le mieux serai que je t’aide à trouver un autre arbre fruitier. Comme ça, les Tokomon pourront récolter paisiblement leurs fruits et toi cueillir les tiens à ta guise, sans créer de conflits. Ça te vas ? »

Je me disais que c’était la solution la plus raisonnable. Au final, cette histoire n’était qu’une dispute de territoires. Et conquérir, ça, c’était un domaine dans lequel j’allais devoir m’exercer, tout comme celui de devoir gérer des conflits entre plusieurs factions. Peut-être était-ce là le moyen pour moi de, enfin, prendre position en tant que futur dirigeant de ce digimonde ?

Modération:

Je fis tout pour garder une expression neutre et un semblant de calme. Koromon dû le sentir puisque, malgré son caractère irrespectueux, il vint tout de même se coller contre ma jambe, comme s’il essayait de m’apaiser. La scène se déroulait comme un film devant moi, et j’en étais un simple observateur. Finalement, ma proposition n’avait servit qu’à désamorcer ce conflit et m’accorder la confiance de la bande de Tokomon. Cependant, l’histoire n’était pas réglé pour autant. Si les digimon à l’allure de fantômes sur pattes décidèrent d’en rester là et de quitter la scène, exprimant au passage le fait qu’ils m’étaient redevables, le cas de Tentomon pesait encore sur mes bras.

Celui-ci me fit bien comprendre qu’il comptait sur moi pour lui trouver un arbre fruitier si je ne souhaitait pas qu’il retourne s’en prendre à celui de la colonie de Tokomon. Ayant de nouveau le champ libre et un seul interlocuteur en face de moi, il était temps de retourner ma veste. Après tout, ma stratégie n’avait eu pour seule utilité que de m’octroyer un nouveau périmètre de possible. Maintenantn que nous étions en supériorité numérique, autant finir le travail que j’avais commencé. Que Tentomon s’en prenne aux Tokomon ou inversement, j’en avais rien à faire. L’important, ici, était que je me trouve à manger. Et cet insecte possédait un sac rempli de nourritures. Qui allait bientôt m’appartenir.

Prenant une expression froide et distante, l’ambiance de la scène devint soudain électrique. Dans la pénombre de la forêt, je sortais délicatement le couteau à cran que j’avais sur moi et le tint fermement dans ma main gauche. Pas une once de moiteur ne se dégageait de mes mains, ce qui fit que je pouvais tenir avec force le manche. Aucune hésitation. Aucun ressentiment. Voilà, là, les réels atouts d’un sociopathe.

« Bien, bien… »

Jouant de ma lame discrètement, Koromon s’agitant à mes pieds, je m’avançais avec un sourire faux sur le visage. Le digimon face à moi dû trouver cela étrange mais je n’en fis pas cas. Hors de question que je le laisse fuir. Une attaque. Je devais réaliser mon coup en un seul assaut, au risque de subir moi-même les coups de l’adversaire. Tout en me dirigeant tranquillement vers la créature pour ne pas éveiller les soupsons, j’inspirais calmement, relâchant ainsi toute tension musculaire qui pourrait me faire rater ma cible. J’étais tel un serpent. Fourbe, malicieux, et prêt à frapper là où personne ne l’attends. Je venais de lui faire une promesse après tout. Il devait commencer à me faire confiance. Et c’était là que la plupart des personnes relâchés leur garde.

Je n’étais plus qu’à quelques centimètres de la bestiole. En soi, il pouvait très bien penser que je m’avançais vers lui pour qu’on discute plus facilement. Cependant, je devais prendre en compte un autre facteur. Ce dôme invisble, que l’on appelle cercle d’intimité. Tout le monde en avait un. Et lorsqu’une personne indésirable y pénétré, cela avait pour conséquence de mettre la cible en alerte. Je devais agir, et maintenant.

« J’imagine que vous, les digimon, on ne vous apprends pas cette leçon, pourtant primordiale… »

Je bondis, la lame en avant. Un coup droit, où je tentais de viser le cou. Si je réussissais à faire mouche, ma cible ne ferait pas long feu. Par contre, si je venais, par malheur, à échouer, la fuite serai mon unique option et je devrais faire vite. Au corps à corps, j’ignorais totalement mes chances de survie contre une telle créature. Et Koromon n’avait sûrement pas encore le niveau pour se battre, surtout pas le ventre vide. Espérons donc que cette attaque mette un terme aux jours de la bête et que je puisse récupérer son sac de vivres.

« Ne jamais faire confiance à un inconnu. »

Modération:

La malchance. Voilà une notion qui m’était que trop familière. Un doux mélange entre l’aigreur et le destin qui se jouait de nous. Cette fois-ci, elle m’avait frappé de plein fouet. Alors que je pensais mon coup en traître suffisant pour mettre un terme à sa vie, le digimon avait réussi une esquive de renom. Mes propres réflexes devaient être engourdis par la faim et mes péripéties de ces derniers jours. En condition normale, j’aurai certainement été plus rapide, mais ça ne fut pas le cas. Une seconde lui suffit à se décaler et à riposter. Je les vis, presque au ralenti. Ses antennes s’électrifiant, crépitant d’un son outrageux, tandis que je n’avais aucunement la possibilité de bouger. Puis, d’un coup, la décharge partait et venait me frapper en plein torse.

« Je… je … aaaaaaaaah. »

Le choc me fit tressaillir et je tombais sur le sol. C’était comme si des milliers de fourmis m’assaillaient et s’infiltraient dans chacune de mes veines, prenant vie dans tous les recoins de mon corps. Un moment, je crus que mon cœur cessait de battre. Ce qui était certainement le cas d’ailleurs, vu la puissance de l’électricité qui devait être semblable à celle d’un défibrillateur. Le corps fumant, les cheveux soudain hirsutes et noircis, je restais un instant qui paraissait éternité à même le sol. Je n’avais pas pris assez conscience de la dangerosité de cette créature. Jusqu’à maintenant, bien que ronchon, le Tentomon ne s’était pas montré plus hostile que cela. Aussi, je n’avais pas du tout anticipé qu’il puisse libérer une rafale de foudre comme bon lui semblait.

« Aaron ! Aaron, tu vas bien ? »

La voix de Koromon me paraissait lointaine, comme un écho. Las de tout, j’observais le ciel un instant. S’il le voulait, le Tentomon pouvait bien m’achever, mais il ne semblait pas avoir envie de s’acharner. Il s’était contenté de poser une question sur la réelle nature de l’être humain. Étions-nous tous des traîtres ? En soi, bien sûr. Nous étions tous traître à quelque chose, tous traîtres à une cause. À la cause humaine, pour commencer. Mais résumer l’humain à la trahison était un peu trop facile, tant l’Homme était complexe à comprendre. Moi, cela m’avait pris des années pour saisir les réelles intentions des gens. Dans ce nouveau monde, avec ces nouvelles créatures et leur mode de pensée inconnue, cela rajoutait en difficulté et j’étais d’autant plus obligé d’analyser et d’influencer les autres si je souhaitais m’en sortir.

« Tu-tu… tu vas me le payer ! »

Difficilement, je mis un genou à terre, Koromon s’empressant de venir se coller à moi. Tout mon corps était parcouru de spasmes, si bien qu’une autre attaque de l’ennemi me ferait très certainement tomber dans l’inconscience. Je n’avais plus beaucoup d’options pour m’en sortir. La fuite m’était impensable et la victoire paraissait s’éloigner à chaque instant. Mais ce fut mon partenaire qui m’ouvrit une brèche et me fit regagner un semblant d’espoir. Sûrement devant la colère de me voir ainsi affaiblit, sur le sol, il ouvrit en grand sa gueule pour laisser s’échapper une nuée de bulles bleutées. Bien qu’elles n’allaient pas trop vite et que je doutais qu’elle puisse faire de quelconque dégâts à l’ennemi, je saisis l’opportunité. Toujours genou à terre, je lançais en dernier recours ma lame, la dissimulant au niveau des bulles colorées de Koromon. Avec un peu de chance, il ne verrait pas l’attaque arriver et ainsi, je pourrai espérer me sortir de cette situation.

Modération: