At the edge of the Void [PV. Lauren]

La forêt était tout ce qu’il y avait de plus reposant. Un doux mélange entre l’odeur d’une chaumière d’hiver et celle d’un bon repas en plein air en été. L’herbe y était fraîche et se mêlait avec parcimonie à des lopins de glaise humide. La nature avait prit un brin d’avance et c’était imposé maître, excempte d’une quelconque intervention de l’Homme. Ainsi, çà et là, des troncs d’arbre déracinés jonchés le sol, recouvert de mousse coloré. Les mille feuillages se perdaient en des danses enivrantes au gré du vent, que seul l’écoute attentive permettait de distinguer tant les hautes et épaisses cimes filtraient les éléments extérieurs. Un faux paysage de rêve, cependant. J’avais appris, depuis deux jours, à distinguer en cet endroit une noirceur évidente, un danger certain qui guettait dans les moindres recoins. Presque récurrent, chaque excursion se terminait par un risque mortel pour le malheureux qui osait s’y aventurer.

Épuisé, je m’asseyais sur un des troncs couchés. Cela faisait deux jours que je n’avais rien avalé. L’eau de la rivière était certes potable – bien qu’aucun recul ne me permettait de dire que je n’allais pas développer de maladies dans les jours qui viennent – mais elle ne remplissait pas mon estomac. Je regardais donc avec insistance la sacoche avec moi. Les quelques vivres que l’aventure du jour m’avait permis de récolter, et que j’avais promis de ne manger que lorsque je retrouverai Zhuang à l’abri. Mais, encore, là, il avait fallu que j’use de ruse et de force pour simplement me nourrir. À ce rythme, je ne tiendrais pas assez longtemps dans ce digimonde. Ces expéditions avaient failli me coûter la perte de ma main, une incinération en bonne et due forme, une descente aux Enfers dans un labyrinthe sans fin. Ce n’était pas un moyen assez rentable de subvenir à mes besoins et il allait falloir que je trouve rapidement une alternative.

« Aaron, t’es encore perdu dans tes pensées ? Bouge-toi, on ne peut pas laisser le gosse seul si longtemps. »

Koromon. Depuis que la flaque de morve acide jaunâtre qu’était Zurumon s’était transformé en cette tête rose sur patte, il avait mystérieusement acquit la faculté de parler. Mais, plus encore, il avait montré de rares talents en matière d’insolence. Un trait de caractère qui était loin de me ravir, moi qui ne supportais pas que quelqu’un puisse manquer de respect à ma personne ou décider de s’insurger contre moi.

« La ferme, Koromon. Et j’t’ai déjà dis de m’appeler Maître Aaron. »

« Moi, la ferme ? Mais t’es un fou toi ? Tu vas voir qui je suis pour… »

Un craquement. Quelque chose de suspect, qui avait trahi la présence d’une autre personne dans les alentours. Aussitôt aux aguets, Koromon n’avait même pas pris la peine de finir sa phrase pour venir se positionner devant moi, l’air agressif. Voilà bien ma chance de m’être coltiné un partenaire si insolent et peu respectueux. Et qui, de plus, souhaitait se battre à tout bout de champ là où je préférais la ruse et la manipulation. Cependant, s’il y avait bien un truc de certain, c’est que, sous ses airs de durs, il était dévoué à ma protection. C’était mon partenaire après tout. Bien que je doute qu’une boule rose aux grandes oreilles, aux yeux pétillants de rouge et à l’allure enfantine puisse impressionner quiconque.

Koromon sautillant discrètement devant moi, nous avancions jusqu’à l’arbre le plus proche afin de se dissimuler derrière son tronc. Là, dans la pénombre de la forêt, nous serions certainement invisibles. J’espérais au fond de moi ne pas tomber sur un autre digimon agressif. J’étais affamé, ma chemise blanche était tâchée et tailladée de toute part et laissée apparaître mes abdominaux saillants, mais où se dessinait également les gargouillis d’un estomac vide. Koromon avait beau faire le caïd, il n’avait pas mangé depuis notre arrivée, lui non plus. Et avec les épreuves qu’il avait vécut en si peu de temps, il allait finir par tomber d’épuisement si nous avions à subir un autre affrontement.

« Tiens-toi prêt, Koromon. »

[spoiler=H.R.P]C'est parti pour cette rencontre. Je suis ouvert à toute remarque et modification, si tu veux que je change quelque chose. Enjoy !

Allez savoir comment, mais cette jeune fille avait réussit à me surprendre. Non pas qu’elle soit discrète, puisque j’avais réussi à la repérer bien avant de la voir, mais simplement car elle s’était présenté à moi sans gêne, un drôle de fruit en forme de mangue rose à la main. Cette jeune fille devait dans mes âges, à savoir autour de la vingtaine, et affichait un air assez terne, plutôt semble au mien. Une peau pâle, des cheveux hirsutes noirs de jeai et des yeux si étrange, marrons aux reflets rougeoyant. Je me perdais un instant à les observer, si bien que je ne remarquais qu’après quelques instants qu’un digimon se tenait à ses côtés. Un que je n’avais jamais vu mais j’étais loin d’ignorer qu’il devait en exister des centaines de différents. J’en avais déjà rencontré une petite dizaine en deux jours, alors un de plus ou un de moins n’était pas étonnant. Mon digivice m’indiqua son espèce. Un Elecmon, apparemment.

Je ne pouvais rester de marbre face à une telle facilité à entrer en relation. Moi qui ne supportais pas l’Autre, j’avais du mal avec ces gens bien trop sûr d’eux, qui interpellait sans penser aux conséquences. Cependant, je me devais de faire bonne figure. Révéler mon vrai visage ne m’apportait que des problèmes, je l’avais bien compris depuis le temps. Alors, après un premier mouvement de recul face à cette nonchalance, je décidais d’afficher un franc sourire. Enfin, franc, tout est relatif. La commissure de mes lèvres trésaillait à chaque instant, preuve que je n’avais pas l’habitude de cette expression sur mon visage.

« Bonjour… euh, ça va et toi ? Merci pour le fruit, j’accepte avec plaisir. »

Jouer l’humain. Voilà qui trahissait avec mes manières d’agir. Je n’étais pas familier des réactions ordinaires, moi qui me plaisais à me penser au-dessus de la populace. Là, face à cette jeune fille et son digimon, je devais jouer les crédules. En soi, cette jeune fille ne semblait pas effrayée. Son digimon paraissait d’autant plus mature, preuve s’il en était qu’il devait parcourir le digimonde aux côtés de sa maîtresse depuis un peu plus longtemps que moi. Devant mon air hébété faussement simulée, Koromon décida tout de même de prendre les devants. Une habitude chez lui qui devenait un peu trop envahissante.

« Bon, vu que moooonsieur ne se présente pas, je vais m’en occuper. Moi c’est Koromon, et lui c’est Aaron. Un humain, comme toi d’ailleurs. C’est bizarre, on en croise de plus en plus souvent. »

Ah oui, j’avais pas réellement mis au fait Koromon de la mission confiée par Eru. Il était encore dans l’œuf au moment des explications avec la divinité. Je ne lui avais pas fait clairement non plus clairement part de mes intentions d’aller à contre-courant avec les objectifs de mes pairs humains de retourner sur Terre et de contrecarrer leurs projets. Bon, la phase d’explication, ce sera pour plus tard. Je me reprenais, prenant la parole à la place de mon digimon.

« Enchanté. Vous faites quoi par ici ? Vous vous êtes perdu ? »

Clairement, cette jeune fille n’est pas du tout étonné par ma présence. Elle se targue même d’une franchise sincère, qu’elle affiche par des paroles décontracté. Je remarque que son corps, lui aussi, semble détendue. Aussi, j’en suis certain, ne se méfie-t-elle pas de moi. J’ai réussi mon coup, cela veut dire. Mes plus bas instincts sont à l’abri, bien au chaud derrière cette façade de garçon un peu idiot que je lui fais percevoir. Cependant, cette innocence face à la présence d’autres êtres humains, elle me l’explique. Elle est bien consiente du foutoir sur Terre et des voyages spatio-temporels qui ont emportés certains humains dans le Digimonde. Aussi, j’en déduis qu’elle a dû rencontrer Eru, la pseudo-divinité de ce monde.

D’ailleurs, la suite de son intervention confirme mes pensées. Selon elle, elle revient tout juste d’une mission confiée par la déesse elle-même. Une envoyée d’Eru, donc. Y a-t-il réellement, par ce monde, des gens qui accomplissent des missions si formelles pour cette créature ? Des sortes d’héraults divins en quelques sortes ? Après tout, à moi aussi, elle m’a confié la charge de partir en quête de mystérieux cristaux qui sont apparemment la clé du retour sur Terre.

« N-Non, je m’suis pas perdu. J’ai un abri, pas loin d’ici. »

Inutile de révéler l’endroit de notre campement. Si cette Lauren travaille pour la divinité, je n’ai pas envie qu’elle puisse me trouver voir m’attaquer en cas de danger. Prit de mille questions internes, je décide de les faire taire pour le moment. Pas besoin de me tracasser l’esprit, la seule chose dont j’ai besoin, c’est de connaître plus en détails les desseins qui l’emmène à travailler pour Eru. Aussi, affichant un sourire angélique – enfin, autant angélique que mon faciès sombre puisse – je pose alors la question.

« Tu-Tu m’as dis que tu étais en mission pour Eru ? T’es à la recherche de ces fameuses pierres dont elle m’a parlé ? »

Il allait falloir que je me penche plus sur ces objets. S’ils étaient l’unique moyen de retourner sur Terre, j’allais devoir m’en saisir. Mais pas pour rentrer, non, mais plus pour les détourner à ma guise. Je ne voulais pas que quiconque ouvre un accès vers notre ancien monde. Ici, maintenant, voilà ma nouvelle patrie. Personne n’avait le droit d’interférer avec mes projets, pas même un être omnipotent de malheur.

« Dis-moi Lauren, je peux te poser une question ? Pourquoi tu accepte de risquer ta vie dans cette forêt pour Eru ? »

Le ton était donné. Je ne souhaitais pas soulever de soupsons à mon égard, aussi avais-je utiliser une expression neutre. Cela pourrai donc passer pour un simple questionnement et non une mise en garde envers ceux qui trahissaient à ma cause.

J’écoutais avec attention la jeune femme. Chaque parole, chacun de ses mots pouvaient trahir une quelconque intention à mon égard. Mais non. Peut-être était-elle tout simplement sincère dans sa manière d’agir ? Peut-être ne dissimulait-elle aucune mauvaise idée derrière cette bonhommie de façade ? Il y avait des gens, comme ça, après tout. Des gens bons, d’office. Qui ne se perdait pas en chemin sur des voies sinueuses et sordides.

Dans son monologue, elle m’indiqua qu’effectivement, elle était en mission pour la déesse mais également que son principal objectif était de rentrer chez elle et de revoir sa « communauté ». Je compris qu’elle était une gameuse. Je n’étais pas familier avec ce milieu, moi qui préférais la douceur des livres à la candeur des ordinateurs. À vrai dire, je n’avais jouer que rarement à des jeux-vidéos, et la plupart n’était que des ersastes de jeux éducatifs pour gamin que mon père m’avait acheté plus jeune, pour satisfaire ma soif de connaissances.

« Je… comprends. Enfin, si l’on peut dire. Rentrer sur Terre n’est pas dans mes priorités actuelles, mais je comprends que certains d’entre vous aient cette envie. »

Je laissais volontairement planer le doute sur mes intentions. Cependant, mon regard sombre et soudain aussi perfide qu’un serpent trahissait mes sentiments. Les personnes comme cette Lauren, je les détestait. En plus d’être des opposants à ma cause, elles se targuaient d’être de fausses héroines qui ne vivaient que pour la bienséance et les valeurs fondamentale qui faisaient l’être humain. Chaque action était prise dans l’unique but de servir le bien commun et de ramener un semblant d’humanité dans la misère d’une aventure noire.

« Mais, dis moi, Lauren. Sans être trop indiscret, tu ne trouves pas que cette Eru, justement, ne sert à rien ? Enfin, je veux dire, elle se contente de s’abriter et de vous forcer à risquer vos vies pour elle. Pour des conneries dont elle est peut-être à l’origine au final, qui sait ? »

Bon, là, la jeune femme allait sûrement se rendre compte que je n’était pas un partisan. Je restais sur mes gardes, mon corps tendu sous la pression. J’ignorais les capacités de cette femme mais je gardais en tête qu’elle pouvait s’en prendre à moi à tout instant, si l’envie le lui disait ou si elle souhaitait éliminer un mec trop indiscret.

J’avais tout gagné. Enfin, c’est vite dit ça, mais j’avais au moins réussi à mettre la jeune fille en rogne. Et il n’y avait rien de plus facile pour achever quelqu’un que de le laisser plonger dans la colère. Cette sensation, cette émotion même, qui prenait le dessus sur la plupart des actes conscients lorsqu’elle s’imposait dans l’esprit d’un humain. Elle empêchait la sérénité et embrouillait les paroles, troublait les pensées dans le plus intime des recoins d’une personne. Lauren, ah ! Douce Lauren. La partie n’a même pas commencé qu’elle s’achève déjà.

Son visage se feins de plusieurs rictus suffisant tandis qu’elle déblatère son monologue sur l’utilité d’Eru et sa manière d’agir. Elle la défend, oh ça oui. On dirait presque une personne totalement dévouée à sa cause. Je peux comprendre ce besoin chez l’être humain. Cette envie irrépressible d’avoir une mission, une quête, dictée par quelqu’un de plus assuré et de confiant. Une manière de se rassurer, en quelque sorte, sur sa condition pitoyable. Mais cette jeune fille me paraît pourtant avoir du caractère. Il suffit de voir comment elle s’emporte, là, juste sous mes yeux. Comment donc peut-elle céder aux plus bas instincts de l’être humain ? Comment peut-elle accepter de se laisser gouverner ainsi ? L’unique raison de vouloir rentrer chez soi ne m’est pas assez attirante pour laisser un nouveau dirigeant me priver de quelques droits.

La laissant finir, je feins un sourire narquois sur mon visage. Une expression supérieure envahie chaque trait de mon visage, comme pour montrer que je me sens au-dessus de tout cela. Je sais déjà quoi lui répondre. J’ai conscience que nombreux seront les opposants à mon projet, aussi, ai-je préparé à l’avance des contre-arguments à chaque tirade qu’on pourrait m’envoyer en plein visage.

« Je crois que j’ai touché un point sensible, chère Lauren. J’ai depuis bien longtemps remarqué que vous autre, les faibles, avez besoin de quelqu’un pour vous dicter votre conduite. Tu as beau la défendre, tu ne me feras jamais changé d’avis. Moi, si je veux quelque chose, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour l’avoir. Je ne me sers pas de laquais pour l’obtenir. »

Je fais volontairement une pause dans mon discours, pour me décaler de quelques centimètres et m’appuyer confortable sur l’arbre derrière moi, les bras croisés sur mon torse. Après une bouchée insolente dans le fruit qu’elle m’a fourni précédemment, mon regard bien fixe dans le sien, je continue.

« T’as jamais remarqué ? Sur Terre, les dirigeants agissent exactement comme Eru. Ils nous forcent à agir selon leurs propres lois, à bâtir leurs empires, à se démener toute notre vie pour satisfaire le moindre de leur désir. Et tout cela, ça nous a mené à quoi ? Des guerres, des famines, des révolutions, des morts par millier. Je refuse de retourner dans un monde détruit par la bêtise humaine. Tu devrais en faire de même. Te plaire à alimenter ce système pourri, c’est un signe de plus de ta faiblesse. »

J’y vais fort. Mais c’est précisément mon intention. Chaque mot, chaque parole, est calculés pour la faire sortir de ses gongs. Se perdre dans la colère est le meilleur vecteur de corruption. Et corrompre les gens, les rallier à une cause qu’ils ne défendaient pas, c’est ce dans quoi j’excelles.

La réponse cinglante ne tarda pas à arriver. Comme je l’avais prévu, la jeune fille ne se laissait pas faire et n’allait pas perdre la face si facilement. Étrangement, bien qu’elle perde contenance et que son esprit soit embué par une colère certaine, ses arguments n’en restaient pas moins pertinent. Peut-être son habileté aux jeux-vidéos avait-elle renforcé sa capacité à raisonner sous la pression ? Cette même capacité que j’avais choisi de dissimuler, m’adonnant qu’en cas d’urgence suprême à la colère. Les rares fois où ça avait été le cas, le carnage et la désolation avait suivi. Je ne souhaitais pas revivre l’expérience de ci-tôt.

Koromon restait à mes côtés, comme perdu dans un rêve. Spectateur mélancolique, lui qui avait prit en réparti depuis sa transformation n’était pas moins, à cet instant, comme paralysé de stupeur devant la violence des mots que nous étions en train d’échanger. Sûrement, ne connaissait-il pas la nature profonde de l’être humain, qui le poussait à se battre dans des guerres d’égo pour défendre des arguments en lesquels il avait foi ?

« Ce que je ferai pour que ça change ? J’ai pas besoin de tuer la déesse pour m’emparer de sa fonction. Tout ne passe pas par la violence pure. Mais oui, je t’accorde un point, Koromon n’est pas encore assez puissant. Ce n’est qu’une question de temps, il s’endurcira, je le sais. Parce qu’il est avec moi, il deviendra fort. »

Mon digimon m’observait avec de grands yeux. Peut-être cet accord que je venais de passer, discrètement, avait-il raisonné en lui ? Des paroles sincères, mais qui le pousserai à toujours se dépasser pour rester à ma hauteur. Je ne tolérerai pas la faiblesse, il allait falloir qu’il en prenne conscience un jour ou l’autre.

« Tu penses vraiment ce que tu dis ? Pour toi, tout simplement, car on est tous voué à disparaître, on doit s’en foutre que notre vie soit raccourcie par une balle de revolver ? À quel moment tu peux penser ça, sans même réfléchir au fait que tu es tellement gangrénée par la société dans laquelle tu vis que la guerre est devenue un truc aussi banal qu’un mauvais rhume ? Et pour la bouffe, reprends-là, j’en ai pas besoin ! »

Je jetais au sol la mangue dans laquelle une large trace de dents se détachait. Un geste insolent, un de plus, mais dans l’unique intention de la faire exploser. Élève tes mots, pas ta voix, comme dit le proverbe. C’est la pluie qui fait grandir la fleur, pas le tonnerre.

« Tu vois, j’ai moi aussi à manger. Parce que je me suis débrouillé par mes propres moyens pour l’obtenir. J’ai pas attendu sagement que quelqu’un aille me la chercher ! On ne se comprendra pas, je crois ! Tu te plais dans ta vie misérable de petit soldat pour un fort ? Restes-y ! Mais quand tout changera ici, quand je ferai tout changer, tu ouvriras les yeux. Tu comprendras alors que j’avais raison. Et tu ramperas à mes pieds, implorant mon pardon, quand moi je n’aurai pour toi que de la pitié et de la honte ! »

Voilà qui était dit. Inutile de faire des simagrées, à ce niveau-là. Je lui avais dévoilé une partie de mon vrai visage, je ne pouvais continuer à garder ma façade de mec gentil et propre sur lui.

J’entends l’écho lointain de la voix de la jeune fille, qui s’égosille à me faire la morale. Aussi intense que puisse paraître notre échange, je le sais d’avance stérile. Autant elle que moi, nous sommes campés sur nos positions et, empiriquement, nous ne pouvons nous en départir. Les forces en jeu ici sont tout aussi mornes que la vie affective d’un castré. Rien, non rien, ne pourra faire avancer le débat. Je ne suis pas un débatteur de fond, après tout. J’en ai simplement la forme, ayant cette aisance naturelle pour apposer mes arguments. Seulement, je ne peux concevoir qu’un autre ai un discours suffisamment construit pour venir contrecarrer mes idées, aussi, le débat se transforme bien vite en tirade, là où je ne peux entendre le positionnement de l’autre. Et cette Lauren, elle est de la même trempe.

L’ambiance est si électrique que même Koromon frémit. Le monde autour de nous paraît ne plus exister et se perdre dans un flou total. En cet instant, j’oublie presque que je suis perdu dans un monde horrifique où je peux me faire attaquer à tout instant par une créature dénuée d’émotions et de ressentiments. Un instant, je suis l’Aaron de marbre, celui qui se bat pour ce en quoi il croit, une justice quasi-impartiale, où l’égalité est reine et les enjeux de pouvoir nul.

« Tu rêves ta vie comme un jeu-vidéo. Tu te plais à penser que, vu que tu es experte dans un domaine, le monde est soumit aux seules lois que tu connais. Si rien d’autre n’a d’importance pour toi et que l’existence n’est qu’un jeu pour toi, tu vas finir par te brûler les ailes. On est pas dans une de tes parties, là. C’est pas parce que tu passes tes journées derrière un écran que celui-ci empiète sur la réalité. Y a des millions de gens qui crèvent la dalle, y a des millions de gens qui prennent part à des guerres pour lesquelles ils n’ont aucun enjeu. Et toi, tu voudrais qu’on s’en foute, vu que, de toute façon, c’est la réalité qui veut ça ? »

Et puis, après tout, je me fous de son avis. J’ai beau débattre et tenter de la convaincre, c’est peine perdue. Cette fille est telle du roc et ne se laissera pas défaire en toute quiétude, si sereinement. L’approche que j’ai eue n’est pas la bonne. À notre prochaine rencontre, j’aborderai les choses différemment. Je lui montrerai la réalité, hors de ses jeux-vidéos qui pervertisse sa vision des choses.

« Que la politique tu t’en foutes, c’est un point. Je te demande pas de t’y intéresser. Tu n’auras pas à le faire de toute façon, puisque ce n’est pas ton rôle et sûrement pas à ta portée non plus. Mais ne rejette pas la faute sur ceux qui font bouger les choses. Je ne suis pas un de ces politiciens véreux. Je n’en suis même pas un simple, à vrai dire. Je suis juste un gars qui veut faire bouger les choses, en mieux. Et peu importe les tourments par lequel nous devrons passer, si la finalité c’est une société apaisée. Le propre de la condition humaine, c’est la guerre et le conflit. Ici, dans le digimonde, nous avons des créatures bien plus puissantes que nous, capable de servir littéralement d’armes de destruction massive. Ici, nous pourrons créer une société exempte de chaos. Ouvre les yeux, Lauren ! »

Tout en sachant clairement qu’elle ne le fera pas. Une phrase en l’air, projetait dans le vide, dont l’unique but est de la faire réagir. Lui faire comprendre qu’elle est perdue dans un besoin souple de se sentir en sécurité dans ce qu’elle connaît.

« Peu m’importe ton palmarès, il m’est dérisoire. Oui, tu finiras par ramper à mes pieds. Oui, tu seras un instrument à la solde de ma cause. Et, à ce moment-là, je ferai de toi ce que j’ai envie. Parce que je t’aurai tellement brisé que tu n’auras d’autre choix que de te rattacher à la seule chose sécure que tu connais : moi ! »

Décidément, elle n'en démordait pas. Nous étions enfermés dans un embrolgio ridicule, d’où chacun prêchait pour ses propres convictions. Toujours affalé contre mon arbre, les bras croisés, je fis quelques pas en avant. Chacun de mes pas soulevait de la poussière fine, qui paraissait dessiner le trajet invisible du cheminement de ma pensée. Je marchais ainsi, autour de la scène de notre joute verbale. Je donnais l’impression de réfléchir en bougeant, mais mon esprit était ailleurs. Je me lamentais seulement sur la condition humaine. Celle qui nous poussait à ne respecter que notre propre opinion. J’y étais soumis moi aussi, en quelque sorte, et cela me rappelait tristement à la réalité qui faisait de moi un homme.
Tout en continuant sur mes pas, je lançais un regard froid à la jeune fille. Un regard d’où semblait s’échapper les mille fantômes de mon passé, un regard qui avait traversé les abysses les profonds de mon existence et qui, aujourd’hui, me donnait la témérité de construire mon propre chemin.

« Dis-moi, je peux te poser une question Lauren ? Tu parles si souvent pour ne rien dire ? La vacuité de chacune de tes paroles est presque une insulte à mes oreilles. Tu te plais à penser que ta vision du monde est la bonne. Aussi étriquée que soit ton esprit, il ne semble pas en capacité d’envisager que les choses soient différentes. Mais bon, je t’excuse. Je pardonne toujours aux faibles, après tout. Vous, qui n’êtes que des outils. De beaux outils, certes, mais incapable de réparer ne serait-ce que les maigres rouages de notre société. »

Koromon me suivait, sautillant tranquillement derrière moi. Je passais à proximité de la mangue sur le sol. J’y donnais un coup de pied violent, l’envoyant valser loin à travers les fougères ternes. L’épaisseur de la forêt venait poser une ambiance d’autant plus pesante sur la scène, ne laissant passer que de faibles rayons du soleil qui peinaient à trouver grâce à mes yeux. Nous n’étions qu’en fin d’après-midi, mais on aurait déjà pu se croire en plein crépuscule.

« Tu n’es rien Lauren, comprends-le. Tu vis seulement pour tes plaisirs et envies égoïstes, sans même voir plus grand. C’est pour cela que j’existe. Faire voir les choses en grand à ceux qui préfère garder les yeux fermés. Je te le prouverai, jeune fille. Je vous le prouverai à tous. »

C’était ma mission, en quelque sorte. Une mission tacite, que je n’avais pas prit la peine de penser, mais qui s’était incrusté au plus profond de moi depuis le jour où j’avais compris que l’être humain n’était qu’égoïsme. Depuis ce fameux jour, jour de ton décès, maman. Mais aussi du tien, Hazel. Je ne peux rester à observer les hommes se détruire. Tout comme je ne peux rentrer sur Terre. Si j’ai atterri ici, si le destin m’a accordé une seconde chance, je dois en profiter. Pour faire bouger les choses, oui, mais aussi pour me bouger, moi. Devenir cet Aaron que j’ai toujours espéré être. Devenir pleinement moi.

« On ne se comprendra pas, Lauren, j’en suis sûr maintenant. Un grand homme, sur notre ancien monde, a dit un jour « Vainc les colériques par le calme, les méchants par la bonté, les avares par la générosité, les menteurs par la vérité. ». Je ferai plus simple. Dans mon monde, plus aucun d’entre eux n’existera. Il n’y aura plus de colériques, plus de méchants, plus d’avares et plus de menteurs. Plus personne n’aura à s’inquiéter des personnes qu’il rencontre. Tu seras contre cette idée, bien évidemment, mais je ne démordrais pas de cet idéal. Quitte à m’attirer les foudres de petits nuages d’orages comme toi. »