L'humidité. Elle lui collait à la peau du visage comme un masque poisseux et dégoûtant. Pourtant, il n'avait aucune envie de se hisser hors de son trou. Les quelques rayons du soleil qui parvenaient à transpercer la canopée de la forêt tropicale le charriaient, glissant entre les larges racines de l'arbre qui formaient le plafond de sa cachette.
Dehors, que pouvait-il y avoir de mieux. L'enfant y avait longuement réfléchi. Il y avait les étranges Digimons qui peuplaient ce monde, les fruits colorés au goût sucré, de l'eau pur comme il n'en avait pas jamais vu auparavant. Pourtant... pourtant...
Têtu comme une mule, il s'était décidé à rester plus bas que terre. Après tout, ce trou n'était pas si mal... Il était assez large pour l'abriter de la pluie et du vent. Cela lui faisait penser à la Batcave. En moins spacieux, et plus froid. Tout compte fait, cela ne ressemblait en rien au repaire de l'homme chauve-souris mais cela lui importait peu. Il pouvait bien imaginer y être et faire semblant d'être entouré de costumes de super-héros et d'écran I-tech ! Rien ne semblait entacher ses extravagances et il regrettait presque de ne pas avoir pu emporter avec lui sa figurine préférée dans ce monde étrange.
Cela ressemblait à un caprice mais après tout, n'en avait-il pas le droit puisqu'il était un enfant. Son existence n'était qu'une quête d'amusement continuel ! L'enfant battit des cils pour chasser une poussière et l'espace d'un instant, il crû percevoir deux yeux glacés par l'ouverture vers le monde extérieur. Son œsophage se serra douloureusement mais il ne cria pas. Il secoua la tête autant qu'il le put dans l'espace restreint. Quand il rouvrit les yeux, seuls les branches des buissons alentours traçaient les contours de sa cachette. Le petit garçon laissa échapper un soupir. Bien entendu qu'il n'y avait pas de loup.
Il ne connaissait pas grand chose aux animaux. Bien entendu, il avait toujours voulu un chiot malgré le fait que sa mère y était allergique et qu'il vivait dans un petit appartement au centre de Beijing. C'était son plus grand échec de toute sa courte vie mais maintenant, il avait un Digimon rien que pour lui. Ses mains se resserrèrent sur le petit corps de la souris métallique mais la créature ne fit pas un geste pour se dégager. Ses grands yeux rouges et vitreux dénués de lueur. Elle fit toutefois un petit bruit discret que l'enfant ne put déchiffrer. C'était rassurant... Cela pouvait presque lui faire oublier le souvenir angoissant du souffle dans son cou.
Il ne voulait pas sortir. Il ne voudrait plus jamais de chiot non plus.
L'extérieur lui semblait si loin et même un bras tendu ne pourrait pas lui permettre d'attendre la lumière de ce milieu de journée. La faim serrait ses entrailles avec moins de force que la peur les tordait et cela le clouait sur place, contre le fond de son terrier de lapin. Il écarta cette pensée de son esprit. Les loups aussi avaient faim. Encore un peu, rien qu'un, il resterait caché. Peut-être plus tard sortirait-il, peut-être demain quand il ne verrait plus ces ombres aux crocs blancs. Lorsque ces images ne seraient plus ancrés derrière ses paupières, il oserait mettre un pied sur les feuilles sèches qui recouvraient le sol forestier.
Soudain, un bruit lui fit redresser la tête. Aussi alerte qu'une biche, ses yeux cernés de sommeil se concentrèrent, s'attendant à avoir apparaître quelqu'un mais rien ne vint. Ses muscles se relâchèrent légèrement et sa joue se posa sur la terre fraîche. Puis le bruit retentit une nouvelle fois, plus proche, et la respiration de l'enfant s'atténua, comme s'il voulait disparaître dans le sol.
L’embrun avait fini de réveiller les dernières parcelles de mon corps qui étaient encore perdues au pays des songes. Le doux clapotis de l’eau, la merveille que représenter ce monde m’était alors revenu comme une fatalité. Le digimonde en lui-même me paraissait paradisiaque. Une forêt gigantesque, presque intrinsinquement liée à une végétation luxuriante et aux couleurs si vives qu’elles donnaient l’impression de sortir d’un mauvais trip. Les plantes n’étaient d’aucune commune mesure avec celles que j’avais eue l’habitude de voir sur Terre et elles se perdaient en mille voilages, se délassaient dans le paysage et prenaient racine dans l’immensité du ciel.
Mais, sous ces airs de carte postale, l’endroit se trahissait par une dangerosité sans égale. Comme ces femmes que vous rencontrez un soir, toutes fringuantes et qui, le matin même, n’ont plus que l’aspect terne de leur beauté d’antan. Enfin, c’est ce que m’avait apprit la télévision. Personnellement, j’en avais jamais rencontré d’une telle manière. Des femmes, je veux dire. J’ai un problème avec tout ce qui a attrait à la sociabilisation et aux normes de notre société gangrénée. Alors, je m’étais contenté de fantasmer toute ma vie sur les relations charnelles et ce qu’elle pouvait apporter à ma personne. Je n’en ressortais aucun intérêt ni vaste apport positif, aussi avais-je pris la décision de remettre à plus l’idée de m’imprégner d’une autre personne.
Souvenir d’une vie qui me paraissait lointaine aujourd’hui, les images d’Orihime m’était revenue tandis que je traversais la forêt, sans réel objectif autre que celui de l’exploration. Je m’étais mis en tête d’en connaître plus sur les lieux, quitte à me perdre la journée entière. Orihime, douce adolescente que j’avais rencontrée durant ma quinzième année. Bien que je n’ai jamais fréquenté l’école, la jeune fille faisait partie de mon club de baseball. Seule activité que je pratiquais sur mes temps libres, je n’avais pour autant jamais noué de relations avec mes partenaires, en dehors de celles qui nous liaient à la victoire. Aussi, quand celle qu’on surnommait «cheveux d’ange» s’était inscrit dans notre équipe, je n’ai su d’office aller vers elle. De loin, je l’avais observé. Ses courbes, sa silhouette, son visage, son teint hâlé si particulier en région japonaise, tout me plaisait dans son physique. Mon attirance se portait principalement vers les garçons habituellement, mais cette jeune femme avait suffi à me rendre fébrile.
Mais l’histoire de ma relation avec Orihime est bien trop peu intéressante par rapport à celle de mon exploration. Avec le recul, elle me paraît d’ailleurs totalement dérisoire, comme une goutte dans un océan de regrets. Çà et là, mon attention se posait sur des amoncellements sans fins de lianes et de fougères. Mon nez frétillait à chaque fois que je poussais une branche pour avancer tant l’odeur était enivrante. Un temps, je me perdais dans mes pensées, avançant mécaniquement droit devant. Les racines me faisaient trébucher, mes vêtements, déjà en piteux états, étaient lacérés par les agressions de multitude de plantes. Mais j’avançais, sans but, pris dans ce flot de sensations et d’émotion, entre la beauté et la quintessence.
« Hiiiiiiiiiiii ! »
Un cri qui, soudain, me fit émerger. Je l’avais oublié, à celui-là. Zurumon, être d’infamie qui avait eut le malheur d’avoir été désigné comme mon partenaire. La flaque de morve jaune qu’il était se perdait loin derrière moi, se heurtant au précipice que représentait pour lui une faille dans le sol. Je soupirais, exténué d’avoir à prendre sous mon aile une créature de la sorte. Je ne pouvais, malgré mes pulsions, me résoudre à faire du mal à un enfant. De toute façon, selon Eru, nous étions tous les deux liés et Zurumon me servirait de protecteur à l’avenir. Je voyais mal comment cela était possible, sa seule utilité étant l’acide de son corps qui pouvait tout juste écorcher la peau d’un humain. L’avenir me confortera ou non dans cette idée, quoiqu’il en soit, j’avais un chiard sur les bras.
Je fis donc une pause, le temps que mon compagnon d’infortune rattrape son retard. Le soleil était déjà haut dans le ciel. C’est là que je le vis. Cet arbre, immense et ombrageux. Me délaissant du digimon, je l’observais, m’avançant tranquillement. Quelque chose me taraudait l’esprit. Comment appelez-vous ça vous, les simples humains ? Une intuition ? Mathématiquement impossible, moi qui me contentais de croire en tout ce que la science rendait réalité, mais je devais reconnaître qu’une chose m’attirait dans l’épaisseur de ses racines et la tanière qui se dessinait en son creux.
« Y’a quelqu’un ? »
J’avais volontairement élevé la voix. Je prenais le risque, soit inconscient, de m’attirer les foudres d’un digimon féroce et carnivore, mais j’avais un drôle de pressentiment. Bien que je me sentais idiot à crier ainsi, sûrement dans le vide qui plus est.
Malheureusement, il n'était pas une taupe et il eut beau se terrer plus profondément dans l'humus, il lui était impossible de disparaître complètement. On lui demanda de dévoiler sa présence mais, le gamin-taupe n'était pas dupe. Il préférait rester terrer dans son trou. Il ne voulait pas être dévorer. Il se demanda quelle erreur avait-il pu faire pour être repéré, lui qui pensait que l'entrée de sa cachette était bien camouflée. En peu de temps, après que l'arbre avait été repéré, l'entrée du trou avait été découverte. La silhouette de l'arrivant cachait l'astre du jour et, tétanisé, l'enfant n'osait bouger un muscle. Ses yeux étaient vissés sur le sol dans l'espoir que l'être s'en irait comme il était arrivé. Ce ne fut pas le cas. On restait en silence à le regarder, attendant une réponse... Le regard sur le haut de son crâne était brûlant.
Si l'obscurité lui faisait comme une couverture rassurante de protection, il savait. Il allait suffire de quelques secondes pour que les yeux de l'inconnu s'adapte et que sa forme recroquevillée ressorte du tapis de mousse.
Le petit garçon inspira timidement ne sachant que faire. Il s'était attendu à une douleur atroce lorsque les mâchoires pâles se refermeraient sur sa tête mais, l'attaque attendue ne venait pas. Malgré l'absence de violence, l'apparition ne semblait être décider à le débusquer de son trou.
Alors, il osa. Il jeta un coup d’œil vers le visage inconnu. Aussitôt, deux orbes aussi noirs que des abysses engloutirent son regard bleuté... Il tressaillit. C'était un adulte ! Quelques larmes d'inquiétude apparurent mais il ne prit même pas le temps de les essuyer. Elles coulèrent sur ses joues telles deux petits ruisseaux brillant. Pourtant, les garçons ne pleurent pas...
L'autre humain semblait réfléchir. Sans doute était-il inconscient du danger qui régnait dans ces bois. Ses cheveux noirs paraissaient légèrement ébouriffés mais, propres pour imaginer qu'il était dans le Digimonde depuis peu de temps. Il ne semblait pas non plus terrorisé. Le gamin-taupe s'interrogea sur la présence ou non-présence des loups bleus. Peut-être qu'ils avaient suivi ce grand pour le débusquer...
L'agitation happa le gamin avec la puissance d'un ras-de-marrée. Il s'étouffait avec son propre souffle, couinait comme un animal blessé et râlait comme un mourant. Il avait peur. Il voulait ses parents ! Il l'aurait crié s'il avait pu mais, aucun son cohérent ne sortait de sa gueule. Après tout, les gamins-taupes ne peuvent pas parler.
Il ne comprenait pas ce qu'il arrivait. Il n'arrivait plus à respirer. Son corps tremblait. Ses doigts griffaient douloureusement la couche métallique de son Choromon. Ce dernier pleura de douleur. Tant il était serré dans les bras de l'enfant, tant il ressentait sa peur, il ne fit de mouvement pour se dégager.
Une pensée apparut soudainement dans l'esprit embué du petit garçon. Claire dans cette tempête de sensation qui le tordait : finalement, il n'allait peut-être même pas besoin des loups pour le tuer.
Je la voyais assez précisément. Cette silhouette qui faisait tout pour disparaître et se fondre avec les ténèbres. Malheureusement pour elle, j’en étais l’écho, de ces mêmes ténèbres. Un être à part entière composé de noirceur et se complaisant de l’obscurité. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce qui se terrait au fond au creux de l’arbre me paraissait à la fois humain et animal. Elle était parcourue de soubresaut, son regard était vif et furtif, emplis de peur et de colère. Recroquevillé, son corps n’était que le vaste souvenir de ce que j’avais d’un corps d’un enfant. Aussi étrange que cela puisse me paraître, cet être était, sans commune mesure, un être humain.
Un flot d’émotions contraires se bousculèrent. Chacune d’entre elles essayait de se frayer un chemin dans mon esprit rationnel et de s’imposer reine, le temps d’une pensée. J’avais eu connaissance, par Eru, de la présence d’autres humains dans le Digimonde. Selon elle, s’était même assez fréquent ses derniers jours et elle avait tout fait pour rendre notre voyage le plus serein possible en nous confiant un digimon ainsi que cet étrange appareil qu’était le digivice. Cependant, je ne m’attendais pas à en croiser un si rapidement. Cela n’aurait pas du m’étonner mais je n’avais pas prit conscience encore de l’immensité de ce monde, aussi pensais-je que j’allais passer plusieurs jours, voir plusieurs semaines avant de mettre la main sur un de mes congénères.
L’humain en question n’était, d’apparence du moins, qu’un jeune adolescent. Je lui donnais tout au plus la dizaine d'années. Cette époque de la vie où l’on voit son être tout entier se métamorphoser pour atteindre une pleine conscience. C’est dans ces années que j’ai connu mes plus grands déboires, mes plus grandes peines et que j’ai appris le véritable but de mon existence : la domination. Mais ce garçon-là, lui, paraissait effrayé. Qui ne l’aurait pas été en même temps ? Son corps était parcouru de tressaillements innarétables, ses poumons se soulevaient dans la hâte. Une forme de vie, si étrange que je remarquais immédiatement son appartenance à l’espèce des digimons, se nichait au creux de ses bras, prise soudain d’assaut par les agitements intempestifs de l’humain.
J’en connaissais peu sur les réactions naturelles des digimon, mais je me doutais que la bestiole ne resterait pas des heures à se faire agresser par quelqu’un sans réagir. Simplement, car son réflexe de défense naturelle prendrait le dessus, à un moment ou à un autre. L’humain, en lui-même, me paraissait présenter tous les symptômes d’une crise d’angoisse. Je les connaissais assez pour avoir vu ma mère en faire, lorsqu’elle s’était sentie condamnée par la maladie. À l’époque, j’étais trop jeune pour avoir une idée de la manière de la calmer. Aujourd’hui encore, j’ignorais la marche à suivre. Je décidais donc d’improviser.
« Heu… Salut ? Moi c’est Aaron. Désolé si je t’ai fait peur, je… »
Je devais me rendre à l’évidence, mon corps lacéré de ronces, mes vêtements en lambeaux, mes cheveux hirsutes et noir de jais tout comme mon regard sombre ne devait pas être des plus rassurants pour un enfant. Au contraire. De même que la voix roque de laquelle je ne pouvais me détacher depuis que j’avais mué. N’étant pas familier avec les enfants – ni avec le genre humain en général, vous me direz – je ne savais pas quoi faire. Une envie folle me disait de le laisser là, seul à sa misère, et de continuer mon chemin. Mais je ne pouvais pas. Tout d’abord, car un autre humain pourrai me servir : de mine d’information, de compagnon de fortune, d’homme à tout faire et de pleins d’autres manières. Mais aussi, car c’était mon unique faiblesse, je ne pouvais me résoudre à abandonner un enfant. Problème oedipien, vous avez dit ?
« Je… Excuse-moi. Tiens, pour toi… Si ça peut t’aider à avoir confiance.»
De ma hauteur, je lui jeté mon couteau de poche. Certes, j’en avais l’utilité encore, mais je voulais prouver à l’enfant que je ne lui voulais pas de mal. D’accord, cette idée de balancer un couteau à un môme n’avait pu germer que dans mon esprit tant s’était tordu et plutôt malsain, mais j’avais bon espoir que cela fonctionne. J’agissais comme je l’aurai fait avec n’importe quel adulte, me montrant désarmé pour mieux l’amadouer.
Jamais au cours de sa courte vie, le gamin-taupe n’avait ressenti cela. Il se noyait dans ses propres larmes et, dans son terrier étroit, il y avait si peu de possibilités pour respirer. La position allongée à plat ventre n’aidait. Le sol appuyait sur son torse douloureusement. Il avait l’impression qu’il allait rendre.
L’homme parla.
L’enfant l’entendit à peine. Les mots brouillés et, ils étaient perdus dans un océan de terreur. Les battements de son cœur battait si fort contre ses tempes. Un sorte d’écho lui fit tourner la tête. L’enfant hoqueta doucement. Presque un couinement de douleur qui passa inaperçu tant il était silencieux. Au dessus de lui, l’adulte se pencha en avant. Malgré sa panique, le gamin-taupe songea qu’il ressemblait à un gros oiseau.
L’oiseau parla.
Puis, il lui lança un objet d’un mouvement ample. Il tomba dans le trou. Le gamin-taupe le vit scintiller brièvement lorsqu’il passa de la lumière aux ténèbres : un éclair argenté qui l’éblouit. L’objet atterrit à quelques centimètres de sa gueule et, ses yeux louchèrent pour comprendre la situation. Le fait de se focaliser sur un élément extérieur, le détendit inconsciemment. Sa respiration se calma, devenait plus sifflante que haletante. Son regard bleu se leva vers l’être qui le surplombait. Il chercha sur ses traits un signe. L’oiseau attendait. Les membres de l’enfant tremblaient toujours et, il eut la plus grande des difficultés à se mobiliser. Il avait l’impression que tout son corps était crispé. Timidement, ses doigts entourèrent le manche en bois et, lorsqu'il ressortit le couteau, la lame était souillée de terre. Pareil à des vases communicants, sa main gauche se détendit sensiblement.
Le Choromon lâcha un petit soupir et, sa queue brilla un court instant. Heureusement, son corps était métallique car, ça aurait été certain qu’il aurait souffert de petites coupures en forme de croissant de lune, tout le long de son corps. Ses larges yeux rougeoyèrent comme pour tenter de rassurer son Tamer.
Finalement, les encouragements divers permirent à ce dernier à reprendre une respiration normale. Celui-ci avait porté le couteau contre sa poitrine. Il s'y raccrocha comme un naufragé à sa bouée de secours avec l'énergie du désespoir. Appréciant le poids plus conséquent que son Digimon, il n'avait plus l'impression d'être aussi perdu qu'un gamin-taupe aurait dû être. Alors, avec un légèrement plus de confiance, il s'avança. La lumière du soleil traversant la cime des arbres lui fit cligner des paupières. C'est ainsi qu'il le vit sous toute sa splendeur. Ses longues ailes déchirées et son plumage plus dense et sombre que le mazoute frais. Il recula légèrement, inquiet.
Puis, à demi-voix, le gamin-taupe demanda à l'homme-oiseau si les loups bleus étaient toujours là.
Il avait osé ! Car, au fond, la grande ombre n'était peut-être pas aussi mauvaise que son apparence laissait penser.
Le garçon se décidait à émerger. Dans un flot de lumière, qui trahissait une dissociation folle avec son apparence, si terne et sale. Sa tête seule paraissait de sa tanière, trônant faiblement, comme une bête apeurée trouvant depuis longtemps la lumière du jour perdue. Cela devait faire un moment qu’il se terrait, dans l’attente d’un contact humain ou autre. Son digimon, lui, n’était en rien semblable à ceux que je connaissais. Une sorte de souris – si tant est que ce fut ce qui s’en approchait le plus dans notre monde – à la peau grise, pareille à du métal fondu. Cette rencontre, notre rencontre, me paraissait auréolée de mystère. L’un être de lumière sous sa candeur d’enfant, l’autre, agent des ténèbres, dont la noirceur n’est que l’adage de son cœur tout entier. Nous étions là, à nous faire face, de nos habits débraillés et de ce sentiment si étrange de n’appartenir à aucun monde.
Bien que rassuré par le contact si réel de mon couteau, l’enfant avait toujours cette étincelle de panique au fond de l’œil. Après tout, à son âge, il était normal d’être effrayé. Moi-même, je me perdais encore à savoir si l’option de rester dans le digimonde à vie n’était après tout pas une erreur. J’étais conscient de ne pas pouvoir retourner sur Terre, où je serai certainement un paria pour le reste de mes jours et finirai au fond d’une cellule, si ma tête ne m’était pas ôté. Malgré tout, ce monde était si dangereux. Loin du paysage de carte postale qu’il vous donne au premier abord. Et vu l’état de l’enfant, je ne doutais pas qu’il avait dû rencontrer lui aussi des facéties innommables. Peut-être Impmon réservait-il le même sort d’accueil à tous les nouveaux voyageurs ? Cela me semblait fort peu probable, surtout que le diablotin m’avait fait part qu’il était l’un des premiers humains qu’il rencontrait. Qu’est-ce qui avait donc pu traumatiser l’enfant ainsi ?
Je n’eus cependant pas à patienter longtemps pour avoir ma réponse. Bien loin de se perdre en bavardage, d’une voix monocorde, mais qui trahissait une terreur sans nom, l’enfant me demanda à demi-mot si les loups bleus étaient toujours dans le coin. Les loups bleus ? J’essayais de garder un visage neutre pour ne pas rajouter à la frayeur de l’enfant mais il du remarquer mon incompréhension. Parlait-il de digimon ? Des digimon à l’apparence de canidés féroces et bleus ? Cela n’aurait pas dû m’étonner, moi qui me baladais avec une flaque de mucus doré toxique et qui avait, la veille, eut une conversation avec une pseudo-divinité. Pour autant, j’avais l’impression que ces créatures avaient été foncièrement plus hargneuses avec le garçon qu’Impmon avait pu l’être avec moi – si l’on considère qu’une gelure à la main et la prison de flammes n’est pas si terrible en soi.
« Non, j’ai rien vu de ce genre dans les environs, petit. »
J’essayais de prendre une voix douce. Mais bon, vu les graviers qui entonaient mes cordes vocales à chaque son qui en sortait, cela devait paraître bien plus impressionnant que rassurant. Cet être me faisait tant penser à un animal. Une bête effrayée, qu’on aurait chassée des années et qui se décidait enfin à sortir de son trou, dans l’espoir d’un monde apaisé et nouveau. Je m’accroupis, me voulant confiant et sûr de moi. Je l’étais, bien évidemment. Aaron, le grand Aaron, ne montrait jamais de failles, après tout. Mais j’étais tiraillé d’émotions contraires, prit entre l’envie de laisser là l’enfant et le fait de ne pas réussir à abandonner un enfant. Pas une nouvelle fois. Je ne pouvais recommencer les mêmes erreurs indéfiniment. Bien qu’au-dessus du simple humain, j’étais tout de même une créature qui se devait d’apprendre de ses erreurs pour avancer. Mon visage était maintenant en face du sien, bien que la position m’était sacrément inconfortable.
« Dis-moi, tu t’appelles comment ? »
Ayant l’impression d’être une guimauve émotionnelle, je rendurcis mon regard, tressaillant sous les sombres envies qui me tiraillaient. À l’intérieur, le garçon aurait pu y voir l’écho de mille souffrances, le chaos infini se mélangeant en parfaite symbiose avec les ténèbres entier. Ce regard, je l’adoucis assez vite. Je devais jouer le jeu. Si je voulais l’amadouer, m’en faire un partenaire, mais surtout un partisan à ma cause, je devais faire bonne figure. Un temps du moins.
« Ca fait longtemps que t’es là ? Tu dois être sacrément à l’étroit dans un si petit terrier. »
J’affichais un sourire qui se voulait bienveillant, mais dans lequel on pouvait clairement voir une ironie peu masquée. J’étais incapable, tout simplement, d’enchanter mon corps pour qu’il ne trahisse pas mes pensées. Si la parole était mon principal atout et ma marque de fabrique pour rallier à ma cause qui je désirais, mon corps, lui, restait mon principal point faible, se targuant de n’être que l’envellope mortelle qui me maintenait ici-bas.
Il se tenait à la sortie du trou, le chef hors du sol comme un drôle d' animal curieux. L'adulte le jaugeait et son regard fit tressaillir le plus jeune. Il se ré-enfonça légèrement dans son terrier ne laissant dépasser que le bout de son nez. Ses yeux bleus brillèrent alors qu'il se brouillaient d'eau salée. Chaque bruissement de feuille sur le parterre forestier le faisait frémir et il jeta un coup d’œil derrière l'ombre du grand oiseau couleur nuit. Heureusement, il n'y avait rien. Juste le vent, les souvenirs brumeux d'une nuit terrible.
L'homme-oiseau lui répondit qu'il n'avait croisé aucun loup bleu. Le gamin-taupe soupira de soulagement.
Il s'autorisa à se détendre légèrement. L'adulte paraissait sincère et à cet instant, l'enfant aurait fait confiance à n'importe qui du moment qu'il lui assurait que les monstres n'étaient pas là.
La voix de l'homme était particulièrement grave et rocailleuse. Immédiatement, le petit garçon pensa à un corbeau. Cela lui allait comme un gant ! Il en aurait presque été fier. Encore tremblant, il lui sourit. Au début, il avait songer à accueillir l'oiseau dans son trou mais, quel idiot ! Petite taupe, les oiseaux ne vivent pas des terriers !
Ce dernier s'accroupit. Son manteau long s'étalait autour de lui tel un cercle de plumes épars. Visiblement, même les volatiles ne sont pas à l'abri de tous les dangers. Leurs visages étaient si proches que le gamin-taupe pouvait se perdre dans les puits abyssaux de son nouvel ami. Pourtant, celui-ci tenta un sourire miroir à l'expression du gamin-taupe. Cela l'emplit davantage de confiance.
Le cadet se présenta du bout des lèvres.
Le nom de l'adulte était étrange. Il ne correspondait à aucun nom que le gamin-taupe connaissait. Il trouva que ça lui faisait penser à quelqu'un d'autre et il renifla.
Subitement, le regard du corbeau s'endurcit, faisant sortir de quelques centimètres la silhouette de l'enfant. Une force étrange émanait de ce visage pâle mais, elle ne l'effrayait pas. Elle la trouvait même rassurante... Cela lui rappeler ces dessins animés préférés où les héros s'habillent de ténèbres pour vaincre le mal. Il en connaissait un dont l'animal totem était la chauve-souris mais, aucun personnage masqué à l’effigie d'un corbeau. Peut-être se tenait-il devant lui.
Maintenant que l'homme-oiseau le mentionnait, le petit garçon devait avouer qu'il était, en effet, douloureux au niveau des articulations. Il ne pouvait qu'être allongé dans son terrier et il était impossible de se retourner sans risquer de décrocher des larges morceaux de terre meuble. D'ailleurs en y parlant... L'enfant secoua la tête, en faisant tomber des petites parcelles. Ceux-ci n'étaient pas si débraillés qu'ils allaient l'air mais, être un soixante centimètre sous terre n'aidait pas à garder une apparence présentable. Des traînées de poussière et sillons de larmes maquillaient ses joues. Il ne prit même pas le temps de les essuyer.
Il avoua qu'il avait passé la nuit dans sa cachette et qu'il ne savait pas où aller.
Une petite idée germa dans son esprit et, passant le couteau dans son autre main, il attrapa la manche de ses doigts désormais libres.
Il n'osait pas formuler sa question de peur d'entendre une réponse trop dure à écouter. Il ne voulait pas que le corbeau se mette en colère. Qu'est-ce qu'il deviendrait si on l'abandonnait à nouveau ?
La simple idée qu'il se retrouve seul le remit dans tous ses états et il baissa la tête. La lame lui écorcha le bord du visage, le faisant couiner plus de peur que de douleur.
Zhuang. Voilà un nom à consonance nippone que j’avais peu eu l’occasion d’entendre durant ma courte existence. Il y’avait bien une peuplade en Chine, minorité ethnique majeure, dont le nom se targuait d’être similaire, mais jamais je ne l’avais entendu porter sur une seule personne. Le petit garçon était-il chinois ? Après tout, les failles qui s’étaient ouvertes n’avaient pas émergé qu’au Japon. Des personnes d’autres pays, d’autres continents, voir peut-être carrément d’autres planètes pouvaient se trouver dans le Digimonde. Le fait le plus étrange était que nous nous comprenions. Peut-être l’enfant parlait-il japonais ? Bizarrement, je le comprenais sans mal, sans même percevoir d’accent étrange dans son intonation. Un mystère de plus que je laissais de côté, le temps de m’habituer à sa compagnie.
L’être de lumière qu’il était abrogeait à lui seul les limites de la candeur. Son visage respirait une bonté sans faille, son expression entière, bien qu’effrayé, exhalait l’envie de se sentir en sécurité. Tout le monde aurait pu facilement se laisser attendrir par un visage de bambin si charmeur, mais je n’étais pas tout le monde. En l’observant, là où les autres ne voyaient qu’un garçon apeuré, sale et en larmes, moi, j’analysais la manière dont sa présence pourrait m’être utile, à court ou à long terme. Moi, j’étais l’analyste, le stratège. Là où eux se perdaient en sentiments, je n’approuvais que le courage, la force et la détermination sans faille.
Le garçon s’élevait légèrement, signe que j’avais réussi, au moins pour le moment, à gagner sa confiance. Il faisait peine à voir. Les fameux loups bleus qui paraissaient hanter son être tout entier devaient l’avoir marqué plus que raisonnable. Son teint terreux ne s’éclaircissait pas, les sillons d’une nuit marquée de larmes se dessinaient sur son visage. Sa voix, elle-même, était douce si l’on oubliait la peur qui l’avait envahie. L’enfant jouait. Avec le couteau, je veux dire. Il se blessa, aussi. En voulant baisser la tête, il s’écorcha la joue de la lame, libérant une perle de sang qui vint s’épandre doucement sur le sol.
Une douce ironie, non ? Que cette même arme, avec laquelle j’avais tenté de mettre un terme à la vie d’un sénateur, finisse par faire couler le sang d’un enfant. Jamais je n’avais donné la mort. Jamais, après tout, je n’avais eu à blesser volontairement quelqu’un. Je l’avais désiré, plus d’une fois. Mais, sur Terre, les lois étaient bien trop strictes, bien trop fonctionnelles et s’appauvrissaient à mesure des décennies. Que ce couteau, instrument de ma peine et de ma vengeance, suffise à blesser le garçon était donc assez comique, quand on y pensait.
« Fais gaffe ! »
Ce fut le seul mot que je sois capable de sortir. Mon ton s’était montré dur, assez pressant. À vrai dire, je n’ai jamais eu à réconforter un enfant ou encore à rassurer quelqu’un. J’ignorais pratiquement tout de la norme des conventions sociales entre les Hommes, moi qui souhaitais vivre par moi-même et pour moi-même. L’utilité de ces choses futiles m’était donc apparu dérisoire. Je n’en voyais ni le but, ni le réel intérêt. Mais, maintenant que je me retrouvais perdu sur un monde inconnu, peuplé de créatures toute aussi inconnues, il allait me falloir des alliés de confiance. Des personnes sur qui m’appuyait, notamment pour les basses besognes. Et qui de plus manipulable si ce n’était un enfant ?
« Dis-moi, ça te dirai pas de sortir de ta cachette ? J’ai un abri pas loin d’ici. C’est assez petit, pas beaucoup plus confortable que ton terrier, mais ça a l’avantage d’être au bord d’une rivière et de protéger des intempéries. On pourrait y aller, si ça te tentes. »
J’avais mis le plus possible de bienveillance dans ma voix. Le garçon devait me trouver étrange. Comme la plupart des personnes, à vrai dire. J’oscillais constamment entre mon visage de façade, le garçon un peu froid mais agréable, et celui que j’étais réellement, le manipulateur sans cœur et sociopathe. La dissociation était complexe, aussi les traits se mélangeaient-ils souvent. Je suis l’ombre et la lumière. Un doux mélange de perfection et de destruction, là où le chaos et l’espoir se mêlent et s’annihilent, dans une parfaite harmonie ténébreuse.
Le brusque éclat de voix plus le mouvement vif de l'adulte le firent sursauter. Cependant, il ne se rétracta pas. Il savait qu'il ne risquait pas d'être puni : il connaissait beaucoup trop les grands. Puis, il sentait que cet homme-oiseau n'était pas dangereux. Il pouvait lui faire confiance. Après tout, il lui avait donné un couteau.
D'ailleurs, l'enfant avait manqué de lâcher la lame sous le coup de la surprise au moment où il s'était coupé. Heureusement, ses doigts s'étaient resserrer autour du manche. Cela aurait été dommage si le couteau avait glissé au fond du terrier.
L'adulte lui proposa de sortir mais il préféra rester silencieux. Il baissa légèrement la tête.
Le petit garçon coinça son Digimon au coin de son bras pour caresser la blessure. Ses doigts se colorèrent de rouge frais. La douleur était minime. Ce n'était qu'un picotement mais, le gamin déglutit tout de même.
Cette blessure même superficielle était quelque chose de réelle. Cela lui rappelait qu'il n'était pas une simple ombre perdue dans la forêt. Il était un petit garçon rationnelle avec la capacité de se tirer des situations les plus difficiles. Comme la fois où il avait mangé le repas de Na et avait fait accuser la sœur de la petite fille. Il ne devrait pas avoir peur de créatures ! Il avait joué à tellement de jeux vidéos que ces loups qu'avec un peu de recul, ils n'étaient pas aussi impressionnants que Laura dans The Evil Within ! Puis, il n'était pas le seul survivant...
Il leva les yeux vers l'oiseau, et pour la première fois, il le vit tel qu'il était. Un adulte rien de plus normal juste un peu débraillé.
Je viens.
Alors, il posa le Choromon sur l'herbe, et sans lâcher le coutelas, il se hissa hors du trou. Dès qu'il fut hors des ténèbres, Wulong se mit à courir autour de l'arbre comme un dératé. Cela rassura le petit garçon de voir son compagnon de nouveau aussi énergique. De quelques coups sur ses habits, il fit tomber les plus gros morceaux de terre. Bien entendu, il restait encore des traces de saleté mais, il fallait se contenter du minimum ! Il essuya le sang qui restait sur le coin de sa mâchoire.
Aucune créature n'était visible aux alentours. Bien entendu, il avait dû les faire fuir !
Il n'y avait que cette orbe étrange couleur jaune citron. Un bip se fit entendre et le petit garçon regarda sans attendre le petit écran dans sa poche. La bête étrange s'appelait Zurumon. Le petit garçon s'avança pour tenter de le caresser. Son regard bleu semblait toujours comporter cette douleur et, ses joues étaient cernés de fatigue mais, une certaine confiance coulait à nouveau en lui. Puis, son regard tomba sur les habits déchirés du jeune homme et son visage perdu soudainement toute expression faisant une magnifique pokerface.
Quelqu'un a raté son atterrissage, Monsieur Corbeau ?
On pouvait discerner une certaine malice dans la voix de Zhuang comme s'il souriait en ce moment même. Le bébé Digimon grimpa sur Aaron avant de redescendre à toute vitesse pour sauter sur Zhuang. Il paraissait particulièrement heureux et c'était sa manière de remercier l'adulte. Cependant, avec les deux plus jeunes collés l'un contre l'autre, on aurait dit qu'ils le jugeaient en concert.
L’enfant ne mit pas longtemps à émerger de sa tanière. Rares étaient ce qui me faisait confiance après leur avoir dévoilé une partie de ma véritable facette, aussi eus-je un sentiment profond de désarroi. Pourquoi donc avait-il accordé foi en mes paroles ? L’instabilité de l’enfance, très certainement. Zhuang devait être dans cette période où les hormones commencent à faire surface, à mi-chemin entre le bambin et l’adolescent. Cette phase de latence, terne et froide, qui agitait des pulsions trop précaires pour être prise au sérieux. Son corps s’enveloppa de poussière tandis qu’il se frottait énergiquement, dans l’espoir de faire tomber un maximum de saleté de ses vêtements. Moi-même, j’étais en piteux état, mais je ne pouvais pas faire mieux pour le moment. Des tâches de sueur jaunâtre, si facilement discernable sur ma chemise blanche, trahissait ma tenue, tandis que mon long manteau s’épaississait de ronces à chacune de mes excursions dans la forêt.
L’étrange créature sortit également de la tanière. Au même mon moment, le digivice dans ma poche sonna. Le digimon en question s’appelait Choromon. Une autre espèce, qui semblait si différente et à la fois tant similaire à Zurumon. Sûrement l’air enfantin qu’ils arboraient. Quoiqu’il en soit, je ne fus pas surpris de voir Zhuang sortir le sien à son tour. Après tout, Eru m’avait bien indiqué qu’elle avait confié un digimon ainsi que le fameux appareil bleu à chaque humain qui avait prit place dans cette grande aventure. Il était donc normal que le gamin en ai un.
Devant l’agitation soudaine qui envahit l’endroit, je restais un temps muet. Choromon exhalait une bonne humeur presque communicative, tournant et boulant autour du grand arbre sans sortir de sa trajectoire. Enfin, juste avant qu’il ne se presse de venir se coller à moi, grimpant et s’enfuyant à ma présence. Répugné par ce contact si envahissant, je tressaillais avant de me reprendre. Je ne pouvais décemment pas envoyer voler cette minuscule créature. Et puis, le jeune Zhuang l’aurai sûrement mal prit si j’avais donné un coup à sa souri métallique. Aussi, je forçais de tout mon être pour retenir ma pulsion, grimaçant sous l’effort presque sur-humain que cela me demandait. Décidant de me suivre en direction de l’abri de fortune qui m’avait servi de refuge la veille, je remarquais l’état de fatigue insolent dans lequel je me trouvais. Mon corps était hérissé de crasse, mes yeux sûrement cernés, mon corps ne tenait que grâce à l’adrénaline de chaque instant. Il allait falloir que je trouve un autre moyen de subvenir à mes besoins, ou alors mon corps allait vite me rappeler à la triste réalité : je n’étais qu’un mortel.
Le garçon, lui, n’était pas dans un meilleur état. Son corps était meurtri, ses vêtements ravagés, ses yeux larmoyant. Il dégageait une peine si intense qu’elle en était pratiquement palpable. Cependant, il se permit tout de même une plaisanterie sur ma tenue déchirée. Farceur donc. Je trouvais ça assez ironique étant donné notre situation. L’ironie, voilà une forme d’art que j’appréciais particulièrement. Après tout, tout ce qui avait attrait au dialogue était pour moi d’une curiosité folle.
« Disons simplement que ce monde n’est pas aussi calme qu’il en paraît. J’imagine qu’on a tous les deux vécut des choses pas jolie jolie depuis notre arrivée. »
Je fixais l’enfant, tandis que nous marchions calmement. Il m’était impossible, pour le moment, d’accélérer la cadence. Mon corps me le refusait, tout simplement. Zurumon, suivait calmement. Il ne paraissait pas plus intéressé que cela par la présence de nos deux nouveaux compagnons, se contentant de jouer comme à son habitude entre mes pieds. L’avantage était que je ne pouvais lui faire de mal, car qui aurai pu blesser une flaque de morve ?
« D’ailleurs, Zhuang, depuis combien de temps es-tu là ? Dans ce monde, je veux dire. Pour ma part, je suis arrivé depuis un jour… enfin, je crois. »
Le temps, ici, n’était que dilation interminable. Impossible d’avoir de réels repères, aussi je pouvais tout aussi bien avoir passé une année terrestre en une seule nuit ici. Qui pouvait le dire, après tout ?
La tentative de blague ne parut pas mettre à la l’aise Aaron. Il lui répondit de manière détendue que ses habits déchirés n’étaient que la conséquence de sa première journée dans le Digimonde. Le petit garçon ouvrit la bouche admirativement. Il devait avoir vécu une aventure extraordinaire !
Aaron se détourna, marchant d’un bon pas vers une direction inconnue. Son jeune interlocuteur le suivit, trottinant derrière lui. Si l’adulte y allait calmement, l’autre devait presser l’allure pour rester à sa hauteur. Ses grandes jambes le devançaient grâce à leurs longues enjambées.
Dis, il t’est arrivé quoi ? Moi, je suis là depuis… trois jours et j’ai rencontré plein de Digimons.
Pourtant, sa tenue n’était pas en si mauvais état que celle de l’adulte. C’était vrai, son pantalon avait une ouverture toute fraîche mais, l’enfant en était fier ! Cela le faisait ressembler à un pirate. Ses cheveux étaient sales mais, tout son être était poussiéreux. Sa doudoune était en piteux état mais, avec un bon nettoyage, elle serait comme neuve ! Seul son t-shirt n’en avait pas besoin puisque son manteau avait été fermé pendant tout son séjour six pieds sous terre. Puis, il devait sentir la sueur. Toutefois, c’était le cadet des soucis du gamin.
Son attention était bien plus tournée sur la végétation tout autour d’eux. Son Choromon était descendu à pleine vitesse de l’épaule de son petit Tamer. Désormais, il concentra ses cercles autour du duo d’humains, sans s’arrêter. Depuis qu’il avait éclos, Zhuang ne l’avait jamais vu essoufflé. Il s’arrêtait uniquement avec la nuit. Le bébé Digimon était dépourvu de patte ou de roulettes. Ainsi, la façon dont il se déplaçait était encore inconnue pour l’enfant. On aurait dit qu’il glissait… Parfois, il disparaissait entre des fougères avant de revenir en trombe. Le seul signe prévenant de son arrivée était le mouvement des herbes sur son passage. Il ne s’éloignait pas comme s’il veillait sur les deux bipèdes.
Lui, c’est Wulong parce qu’il deviendra un dragon noir plus tard. dit-il au moment où le concerné passait à côté de lui. Comment s’appelle le tien ?
Zhuang montra le Zurumon. Ce dernier avait un drôle de sourire que le petit garçon appréciait. On aurait dit qu’il était content. Zhuang n’avait pas pu le toucher plus tôt mais, il avait hâte de retenter plus tard. La tâche jaune était rapide mais, pas autant que le Choromon ! Le petit garçon l’avait déjà vu plus vif que cela mais, pour qu’un souriceau métallique puisse aller aussi vite qu’un adulte en gardant la même allure et sans montrer aucune trace de fatigue, le petit garçon était fier. Il y avait des moments, où il avait envie de discuter avec lui.
Brusquement, une branche craqua quelque part. Le bruit fit sursauter l’enfant qui s’accrocha à la manche du manteau noir. Son regard rechercha l’origine du bruit mais, rien ne sortait de l’ordinaire.
On est encore loin ?
Ses yeux se posèrent sur l’arbre qui disparaissait au loin. Un sentiment étrange le parcourut. Une sorte de pincement ou de tressaillement dans la poitrine. C’était comme si… il aurait dû rencontrer quelqu'un d’autre. Zhuang écarta la sensation d’un mouvement de tête. C’était totalement idiot comme idée.
Il desserra légèrement sa prise sur le bras d’Aaron et cala son rythme de marche sur le sien. Ils allaient plus vite ainsi.
L’ambiance de cette forêt était décidément d’un terne à faire pâlir d’envie un cadavre fraîchement immolé. Outre son aspect reluisant du premier abord, je m’étais vite rendu à l’évidence que le moindre faux-pas m’entraînerait vers un désespoir sans nom, auquel même moi, je n’étais pas préparé. Avoir avec moi, pour seul compagnon, un gamin et deux digimon ridicules par leur aspect et certainement par leur capacité, ne me mettait pas plus en confiance. Cependant, ce garçon en question, il dégageait quelque chose. Une fausse lueur de gaieté dont j’avais atrocement besoin en ce moment. Un air triste dans le regard, mais qui ne se dépatissait pas d’un sens de l’humour certains, plutôt mature pour son jeune âge.
Et puis, il y avait cette détermination. Cette pointe d’orgueil et d’assurance que j’avais cru percevoir derrière le flot d’émotions apeurées qu’il m’avait déversé. Oui, ce gamin n’était pas un faiblard. Je n’aurai pas su dire si, à son âge et avec mon expérience de l’époque, j’aurai réussi à survivre plus d’un jour dans le digimonde. Aussi, lorsqu’il m’apprit que cela faisait déjà trois jours qu’il s’y trouvait et qu’il avait rencontré plusieurs digimon, je ne pus m’empêcher de siffler d’étonnement. Une réaction si humaine qu’elle me dégoûta immédiatement, aussi, je me repris en assombrissant mon regard pour paraître sûr de moi.
« J’ai rencontré un digimon pas franchement sympa, qui s’est amusé à me cuire avant de me congeler. Une expérience que je préférerais éviter de renouveler. »
Nous continuons d’avancer, Zurumon et le fameux Choromon s’amusant entre nos jambes. La souris métallique avait une allure étrangement rapide pour un si petit être. Il pouvait aisément suivre mon rythme, alors que Zhuang lui-même devait pratiquement trottiner pour rester à ma hauteur. Peut-être pas si inutile que ça, ces créatures au final. Alors que je fixais de mon regard sombre le digimon partenaire du garçon, celui-ci s’enquit de me le présenter sous le doux nom de Wulongn. Un nom à consonance chinoise.
« Le mien, c’est Zurumon. Tout court. J’ai pas ressenti le besoin de l’appeler autrement. »
Une réponse un peu sèche. Je retombais rapidement dans mes travers. Il était vrai, après tout, que je n’avais jamais songé à donner un nom à Zurumon. Mais le garçon avait bien fait de me le faire remarquer. C’est comme si moi, à ma naissance, mes parents m’avaient appelé « humain », le nom générique de mon espèce. Sans patronyme, on ne pouvait pas me différencier de la populace. C’était donc une idée que je gardais bien en tête, et à laquelle j’aurai l’occasion de réfléchir dans un proche avenir.
Alors que nous marchions de nouveau dans le calme, seulement interrompu par de petits cris stridents émanant de nos digimon, un bruit de branche qui se brise vint percer le silence. Cela eut pour effet de faire s’agripper le garçonnet à mon bras, qu’il serra assez fort. Enfin, avec la force toute relative d’un enfant de son âge. En temps normal, j’aurai repoussé Zhuang, sans trop de manières. Mais je pouvais comprendre sa détresse, pour vivre sensiblement la même depuis mon arrivée ici. Aussi, cette légère étreinte me rassura à mon tour, et je pus prendre de la confiance pour lui répondre.
« Mon abri n’est plus très loin. Encore quelques minutes de marche et on devrait atteindre la rivière.»
Le silence retombait, Zhuang tenant toujours mon bras mais simplement pour rester à la même vitesse que moi. Cependant, quelque chose me taraudait l’esprit. Il fallait que je pose la question.
« Dis-moi, Zhuang. Tu m’as dit avoir rencontré pleins de digimon. Combien environs ? Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir tant d’espèces différentes que ça. »
Malgré son air sombre, Aaron le laissa tenir son bras. Comme un oiseau se pose sur une branche solide et stable, Zhuang se sentais rassuré. Timidement, il sourit dans l'ombre de son col.
Le jeune homme était une personne de confiance. Il en était certain ! Sinon, il n'aurait pas tenté de le sortir de son terrier et de lui redonner un semblant d'humanité. Déjà, il sentait qu'il serait en sécurité avec lui. Il lui faisait un peu penser à Aiden. Une sorte de grand frère mais au lieu d'une boule de gentillesse et vendant des fausses promesses, celui-ci laissait planer une aura protectrice. Cette différence réelle de personnalité et de comportement envers lui, rassurait le petit garçon. Toutefois, il trouvait cela triste que son Digimon n'ait pas de nom.
Tu sais, je pourrais lui en trouver un si tu n'as pas d'idée.
Il était toujours imaginatif et le retour de sa bonne humeur lui faisait penser à autre chose qu'à des pensées sombres.
C'était en partie dû au sifflement d'admiration de l'adulte. Le cœur de Zhuang en bondissait encore dans sa poitrine. Aaron aussi semblait avoir vécu une arrivée retentissante dans le Digimonde. Un monstre l'avait attaqué avec ses pouvoirs de feu et de glace ! En réfléchissant, il se dit que c'était peut-être la cause de ces habits déchirés. Maintenant qu'il l'avait remarqué, il avait l'impression de sentir une petite odeur de brûlé...
Le petit garçon ne s'était jamais posé la question mais vivre trois jours seul était vraiment un exploit. Fier, il bomberait presque le torse si la fatigue commençait à se faire ressentir. D'une main, il se frotta les yeux.
Aaron lui avait promis qu'il ne restait plus beaucoup de chemin mais Zhuang avait peu de patience... Alors, pour se distraire, il préféra se concentrer sur Zurumon qui slalomait entre les jambes des deux humains. A un moment, l'enfant faillit l'écraser en faisant un petit saut.
Ce fut à cet instant que Aaron prit la parole et Zhuang crû qu'il avait vu que Zurumon-tout-court avait failli devenir Zurumon-plus-du-tout. Il pâlit encore plus qu'il n'était déjà mais le jeune homme posait simplement une question. Cela détendit l'enfant. Il adorait parler des Digimons qu'il avait rencontré !
Il lui montra son Digivice où les silhouettes pixelisées des monstres défilaient. Il n’avait pas envie de parler des personnes qu’il avait croisé. Enjoué, il montra chaque Digimon qu’il trouvait impressionnant.
C’est Stingmon. Il est cool mais, il faisait peur quand il a essayé de me tuer. Et là, c’est Keramon qui était super bizarre. Il cherchait son humain et, lui aussi… m'a attaqué.
Zhuang perdit toute expression quand il réalisa que la majorité des monstres répertoriés dans son petit appareil avait porté atteinte à sa vie. L’image changea.
Voilà, les loups bleus : Ga-Garurumon et Weregarurumon. expliqua t-il en buttant sur les noms.
Ce n’était pas la peine de noter qu’eux aussi avait voulu mettre fins aux jours de l’enfant. Il avait été suffisamment traumatisé par ces créatures la nuit dernière. Heureusement, sous cette forme brouillon de pixels, ils faisaient beaucoup moins peur. Les voir sous nouvelle forme les rendait assez ridicules et le petit garçon leur tira la langue. C'était vraiment injuste ! Les Digimons avaient une dent contre lui ! Pourtant, il n’avait rien fait pour les mettre en colère. Sauf Stingmon mais il venait d’arriver dans ce monde étrange et à cette époque, il ne savait pas qu'il était en charge d'un œuf. Ça ne comptait pas !
Il y avait aussi Wormmon que Zhuang décrit comme une chenille géante gentille. C'était bien le seul qui avait été sympathique dès leur rencontre.
Donc... ça fait cinq Digimons différents ! annonça t-il fièrement en montrant sa main tendue avant de se souvenir. Non, il y avait un autre mais il n'a pas été enregistré dans mon Tamagotchi parce qu'il était dans l'eau. Il ressemblait à une sorte de chien blanc et violet. Il était rigolo mais il est parti très vite.
Ils n'avaient même pas pu échanger une parole.
Soudain, un grondement léger se fit entendre. C'était la rivière. Zhuang piailla de joie. Cela voulait dire qu'il arrivait ! Une question émergea dans l'esprit de l'enfant.
Tu vis seul ? Enfin, avec quelqu'un d'autre que Zurumon.
Marcher avec Zhuang à mes côtés était en quelque sorte rassurant. Non pas que sa présence importait en soi à ma personne, non. Non pas non plus qu’il soit en capacité de me défendre si nous tombions sur un digimon trop féroce. Quoique, je pourrai m’en servir d’appât et fuir, en y pensant. Non, tout simplement, cela me permettait de m’évader quelques instants. Avoir une discussion avec un autre humain était intéressant. Depuis mon arrivée, mes seules conversations avaient été avec la flaque de morve acide qui me servait de partenaire et qui ne pouvait me répondre autrement que par des piaillements, et avec des digimon ou des divinités qui ne me voulaient pas tous du bien. Enfin, je ne leur souhaitais pas le meilleur non plus, j’avais bien en tête qu’ils seraient plus tard des ennemis à abattre, finalement.
Le garçon me proposait de trouver un nom à Zurumon. Après tout, à cet âge, on avait souvent l’esprit en ébullition. Il devait donc avoir assez d’imagination pour trouver un nom assez original pour mon compagnon, mais je décidais de laisser sa question en suspend. Pour le moment, je ne voyais pas l’utilité de renommer ma créature. Peut-être à l’avenir, qui pouvait le dire ? Après avoir failli écraser cette fameuse créature d’ailleurs, et s’être targué de sortir son propre digivice, Zhuang répondit à ma demande sur le nombre de digimon qu’il avait croisé. Pour cela, il afficha une sorte de liste déroulante sur son gadget électronique, montrant les silhouettes pixélisées de diverses formes de vie. Un humanoïde ressemblant à un insecte que le garçon nomma Stingmon, un autre sous la forme d’un… d’une… Je n’aurai pas su clairement le décrire, mais il s’appelait apparemment Keramon. Il me montra ensuite l’objet de ses frayeurs d’antan, des sortes de loups bleus, un à quatre pattes et l’autre à l’aspect plus humain. On aurait dit une sorte de vétéran de guerre. Enfin, une chenille verte venait ponctuer la présentation.
« Wahou, c’est plutôt pas mal. J’ignorais totalement qu’on pouvait se servir des digivices comme ça. À vrai dire, je n'ai pas eu le temps de m’y intéresser. On fait… Comme ça ? »
Tout en parlant, j’avais pianoté sur ma propre machine, imitant les gestes de mon jeune partenaire. Le même écran s’affichait, et, me servant des boutons, je faisais défiler à mon tour.
« Ah, je crois que j’ai compris. Tiens regarde. Ça, c’est Impmon. Celui qui est responsable de l’état de mes vêtements. Au final, c’est pas vraiment un mauvais bougre. Et là, c’est Sistermon Blanc, et juste après sa sœur, Sistermon Noir. Ce sont des sortes de servante pour Eru. »
Bon, j’ignorais totalement si le garçon avait eu l’occasion de rencontrer la déesse. Après tout, elle était à l’origine de la quête qu’elle confiait à tout le monde, mais aussi de la création des partenaires digimon et des digivice. Mais peut-être le garçon ne s’était pas encore posé cette question. Au pire, il me demanderait des explications. Et là, je pourrai arranger la vérité à ma sauce. De toute manière, il allait bien falloir que je retourne au temple pour avoir un entretien sérieux avec Eru. Mais pas de suite.
« Et… c’est tout de mon côté. Je suis arrivé hier, aussi, j’ai pas rencontré beaucoup de digimon encore. »
L’écho lointain de la rivière vint ponctuer ma phrase. Déjà, on pouvait apercevoir les berges, avec l’eau qui clapotait contre les pierres bordant son lit. Bientôt, l’abri serait en vue. Zhuang comprit d’ailleurs l’imminence de notre arrivée puisqu’il me posa une question.
« Ouaip, je vis seul. »
Bizarre comme phrase. On aurait dit une conversation tout à fait banale entre deux personnes sur Terre. Pourtant, nous étions bien dans un monde inconnu entouré de créatures horribles. Nous étions en vue de la cabane. Enfin, des poteaux de bambou, recouvert de feuilles, qui s’appuyaient contre le tronc d’un arbre solide. J’avais pris conscience de l’utilité que pouvait m’apporter le garçon. En plus d’une présence humaine, lui et son digimon – bien que le doute soit permis pour celui-ci – pourrait m’être utiles pour consolider et renforcer mon abri. Je lui en fis donc une proposition officielle.
« D’ailleurs, si ça te dis, vous pourriez vous joindre à nous. C’est toujours mieux que ta tanière, bien que pas encore super confortable. »
L'enfant fut aux anges dès qu'il eut la confirmation que le refuge d'Aaron était proche. Ses petits pieds piétinèrent d'excitation et il pressa le pas. Peu à peu, les arbres laissaient place au paysage bien connu de la rivière. Le bruit de l'eau était agréable mais il tâcha de ne pas trop s'en approcher. Il avait déjà vu des Digimons y nager. Cela ne voulait pas dire qu'il n'allait plus jouer non plus sur les berges. Juste qu'il n'était pas en état de patauger ni de faire trempette.
La question d'Aaron lui fit ouvrir de grands yeux. C'était la première fois depuis leur rencontre qu'il montrait réellement de la surprise.
Je peux rester ?!
Il n'en croyait presque pas ses oreilles. Débordant d'enthousiasme, il se jeta dans les bras de l'adulte et le serra contre son petit torse. Étonné de la réaction de son Tamer, Wulong l'imita.
Oui ! Oui ! Oui et re-oui !
Souriant de toutes ses dents, Zhuang montra son Digivice.
Je pourrais t'apprendre à t'en servir ! Et si tu appuies sur ce bouton, tu peux voir la taille, le nom et le type des monstres.
Aaron ne savait pas qu'on avait la possibilité de voir toutes les informations sur les Digimons ! Il suffisait de trifouiller un peu l'appareil. Ce n'était pas sorcier. Toutefois, l'enfant se mit presque sur la pointe des pieds pour montrer à l'adulte comment faire.
C'était intéressant. Cela faisait penser à Zhuang aux jeux Pokémon. Il ne pouvait pas voir l'étendue du glossaire mais s'amuser à le remplir était une notion que l'enfant appréciait. Il avait l'impression d'être un aventurier découvrant un monde nouveau. Il songea que s'il revenait dans une cour de récréation avec ce Digivice, il ferait sensation ! Quoique puisse dire les autres, ils ne pourraient dénier le fait que Zhuang était le plus cool de toute l'école ! Cependant, cela n'arriverait pas. Il ne reviendrait pas au collège.
Il n'avait pas besoin. Il avait Aaron.
On fera plein de choses ensemble ! Comme... comme jouer et découvrir plein de créatures comme le chat que tu as rencontré heu- Impmon !
En voyant le dit-monstre sur l'appareil d'Aaron, c'était la première pensée que le petit garçon avait eu : Impmon ressemblait à un chat ! Il avait l'air sympa avec son foulard et Zhuang aurait bien aimé le rencontrer. Surtout s'il avait des pouvoirs comme le feu ou la glace !
Il n'avait fait aucun commentaire sur les Sistermons et il n'en ferait pas. Elles ne lui disaient rien. En plus, on aurait dit des filles banales. Ce n'était pas un sujet qui l'intéressait. Néanmoins, le nom prononcé par le plus âgé l'avait fait tilter. Il s'était demandé où est-ce qu'il avait déjà entendu ce nom...
Soudain, un bâillement lui déchira le visage alors qu'un grognement de faim retentit. Aussitôt, il relâcha l'homme corbeau. Le rouge colorait légèrement ses joues et il plaqua ses paumes sur son ventre. Il avait très peu mangé ces derniers jours et son sommeil n'était pas des plus réparateurs. Sans parler de son odeur de sueur qui devait ne pas être agréable.
Le visage baissé, il jeta un coup d’œil par dessous à Aaron. Un regard penaud qui s'excusait sans dire un mot.
Le contact humain. Voilà une notion qui avait l’art de me dégoûter et de me rebuter. Aussi, quand Zhuang prit l’initiative de m’enlacer, je ne pus m’empêcher d’avoir un mouvement de rejet. Le poussant doucement de mes mains, je mis une certaine distance entre nous. Les enfants, je vous jure. Ils ne voient que par la démonstration d’affection. Une manière pour eux de prouver à ceux autour d’eux qu’ils existent et de rassurer sur le fait qu’ils comptent pour quelqu’un. Seulement, le petit est mal tombé avec moi. Lorsque je l’observe, je ne vois que de la matière première à mon œuvre. Ce garçon n’est qu’un outil. Comme un couteau à aiguiser, que je prendrai le temps de travailler pour le rendre aussi tranchant que moi.
Soudain stupéfait, mais à la fois excité, le garçon s’empresse de me montrer son digivice. Il m’indique vouloir m’apprendre à m’en servir. Je ne suis pas au fait en matière de technologie, aussi, j’observe avec attention ses mouvements pour pouvoir les répéter. D’accord, cet instrument est bien plus utile que je ne l’aurai pensé. Il allait falloir que je me penche un peu plus sur toutes ses potentialités. Je n’allais pas cracher sur une base de données portable qui pouvait m’en apprendre sur mes futurs ennemis. Mais le garçon prit les devants. Un peu trop, même. Il commençait déjà à parler de s’amuser, de découvrir ensemble ce monde. Peut-être n’avait-il pas clairement saisi mes intentions. Certainement même. Je n’étais qu’une façade à cet instant. Le vrai moi, je n’avais fait que l’effleurer. Zhuang pensait avoir trouvé un compagnon de jeu, une sorte d’ange gardien avec lequel il aurait l’occasion de pouvoir explorer et rire. Il avait bien mal choisi son maître.
« Calme-toi, gamin. Si je t’ai proposé de venir avec moi, c’est simplement parce que j’allais pas laisser un enfant dormir au beau milieu d’une forêt, à même la terre. On n'est pas en colonie de vacances ici, et je compte pas m’amuser avec toi. Je t’héberge pour le moment, c’est tout. Vois ça comme une coloc’. Tu fais tes trucs, je fais les miens de mon côté, et ça n'ira pas plus loin. »
Peut-être un peu dur avec le gamin, non ? En même temps, inutile de lui mentir et de le faire fantasmer. Toujours très proche de moi, le garçon recula avec hâte. Peut-être sous l’effet de mes mots, mais aussi, et je le compris vite, car son estomac avait émis un bruit sonore. Devenant rouge sous un effet de honte, il baissa la tête. L’avais-je chagriné ? Qu’est-ce que j’en avais à faire, après tout ? Lui tournant le dos, je me dirigeais vers l’abri fait de bambou. J’entreprenais la tâche de me dénuder, gardant simplement mon caleçon, par pure pudeur.
« Tiens, ça, c’est l’abri en question. Tant que tu fous pas le bordel, tu peux faire comme chez toi. J’vais me laver dans la rivière. Tu ferai mieux de faire pareil, histoire qu’on n'infeste pas la cabane de nos odeurs. »
Je me dirigeais lentement vers l’eau. Dans cette tenue, je me sentais soudain vulnérable, comme à la merci d’agresseurs sournois. Se battre en caleçon n’était pas la meilleure chose à faire. Je plongeais dans l’eau, glacée, mais revigorante. Aaaaaah, le bien que cela pouvait faire. J’avais l’impression d’être soudain lavé de tous mes péchés. Bien évidemment, je restais au bord, près du rivage, ignorant totalement la profondeur que pouvait atteindre les eaux du digimonde. Zurumon, lui, attendait sur la berge. Vu sa taille, il aurait vite fait d’être emporté par le petit courant qui me forçait à me tenir convenablement sur mes appuis. Somme toute, cette rivière était similaire à celles que l’on pouvait trouver sur Terre.
« Tu viens, gamin ? Elle est un peu fraiche mais tu vas t’y habituer. »
Il espérait que son nouvel ami n'allait pas lui en vouloir. Tout ce que Zhuang avait mangé le jour passé était un fruit. Pourtant, quand le matin même, il n'avait pas éprouvé de maux de ventre. Comme si son corps avait repoussé ses besoins en attendant qu'il soit en sécurité. Heureusement, l'adulte ne fait aucune remarque sur le grognement affamé de l'enfant. Il recula toutefois. Son ton était dur et ses yeux sévères. Il lui dit de but en blanc qu'il ne comptait pas jouer avec Zhuang. Ce dernier fit une petite moue discrète avant de sourire en coin.
Ouais bien sûr...
Les grands étaient toujours des personnes stupides.
Le petit garçon l'aurait presque oublié tant il avait été enthousiasmé à l'idée d'être pris sous une aile protectrice. Aaron en faisait parti s'il le pensait si naïf car il ne le croyait pas. Zhuang comprenait parfaitement ! C'était un homme-corbeau ! C'était normal qu'il se soit sinistre mais ce n'était pas la peine de lui mentir comme cela. La preuve, il avait décidé de le prendre avec lui. Et ce n'était pas en rétorquant des paroles bidons comme l'inquiétude qu'il ait pu dormir à la belle étoile qui allait lui faire changer d'avis. Il était certain d'avoir trouvé un compagnon de jeu.
Pour passer à autre chose, Aaron lui montra l'abri. Il était simple, fait de bambou et d'herbe pour les fondations et l’étanchéité respectivement. S'il s'écoutait, l'enfant frustré et fatigué aurait tout détruit simplement pour faire regretter à l'autre humain ses interdictions. Cependant, il n'oubliait pas qu'il allait lui aussi dormir sous ce toit improvisé. Il était préférable qu'il se tienne à carreaux. Zhuang se tourna vers son protecteur quand il le vit se déshabiller. La scène le laissa muet de commentaire avant que l'homme n'explique qu'il comptait piquer une tête dans la rivière. Puis, il invita l'enfant à le suivre.
Celui-ci resta interdit quelques instants. Il n'aimait pas les douches. C'était une perte de temps. Alors si même dans ce monde on l'obligeait aussi à se laver, il regretterait presque d'avoir suivi Aaron. Le jeune homme plongea dans l'onde sans autre forme de discours. Sa tête ressortit trempée. Ses cheveux collaient à sa peau et des gouttes d'eau parsemaient sa peau blanche. Zhuang pouvait même voir qu'elle se recouvrait peu à peu de chair de poule. Approuvant ses pensées, Aaron le prévint que la rivière était froide et l'invita à le rejoindre.
Zhuang ne réfléchit qu'une seconde. Même s'il avait voulu paraître en colère, même s'il était habituellement rancunier, la voix qui l'appelait n'avait rien à voir avec celle de tout à l'heure. Finalement, peut-être qu'Aaron n'était pas si ... mature qu'il le laissait paraître. Cela enchanta le petit garçon qui se déshabilla rapidement, enlevant même son sous-vêtement avant de courir jusqu'à la berge. Un gigantesque sourire fendait son visage.
J'arrive ! cria t-il en sautant en boule.
Son corps s'enfonça dans un éclaboussement de tonnerre. Des gerbes d'eau éclaboussèrent Zurumon et Choromon. La souris métallique faillit en tomber dans la rivière. En deux coups de jambes, Zhuang remonta à la surface. Il prit une large inspiration en riant. Aaron avait raison. Elle était fraîche.
Zhuang tenta de toucher le fond avec ses pieds et but presque la tasse. Il ne s'était pas attendu à ce que cela soit si profond... Il devait jouer des membres pour faire du surplace. A côté de lui, Aaron ne semblait pas dérangé. Il était grand après tout et Zhuang pensait qu'il touchait sans difficulté le sol.
Ho ! Essaye de deviner ce que je dis !
Sans attendre, Zhuang se pencha et plongea son visage dans l'eau. Seuls ses cheveux noirs dépassaient comme une masse d'algues brunes. Des myriades de bulles remontèrent par gros bouillons.
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