Kerstin Lindahl

Kerstin ne s’est jamais plaint de sa vie. Elle continue d’avancer chaque jour, espérant un avenir meilleur pour son entourage. N’ayant pas d’amis à qui faire réellement confiance, elle préfère encaisser les coups durs seule. Débrouillarde, la jeune fille se tue entre ses études et les tâches ménagères, donnant tout ce qu’elle peut pour aider sa mère. Cette dernière dit de sa fille qu’elle est courageuse mais qu’elle en fait beaucoup trop. Kerstin, elle, pense qu’il est naturel d’aider ses proches et de se donner à fond. Quitte à faire un excès de zèle. On pourrait y voir là une certaine parentification : Kerstin devenant une deuxième maman, la rendant mature plus qu’on n’en demande pour son âge.

L’angoisse et la susceptibilité de la lycéenne deviennent alors une suite logique. A force de jongler entre le lycée, ses amis et sa famille, elle perd parfois pied. La demoiselle s’emporte, se fâche et pleure sans forcément mettre le doigt sur son mal-être.  Un vrai bouillon d’émotions.

Ni extravertie, ni introvertie, Kerstin n’en reste pas moins une personne sociable. Elle aime rencontrer de nouvelles personnes mais se montre toujours un peu distante en début de relation. De manière générale, elle préfère s’occuper des enfants ou discuter avec des gens plus âgés qu’elle. Les jeunes de son âge ont tendance à l’exaspérer, entre leurs remarques cyniques et leur air blasé.

Alors qu’elle ne peut pas se permettre de dépenser son peu d’argent de poche dans des broutilles, Kerstin va pourtant acheter au moins une fois par semaine un sandwich pour le SDF en bas de chez elle et prête volontiers des sous à ses amies si elles le lui demandent.
Contrairement aux autres adolescents, la jeune fille laisse l’aspect financier et matériel au second plan. Elle part du principe qu’il y a toujours plus malheureux qu’elle.

Pour comprendre un peu mieux la situation familiale de Kerstin, il faut remonter un peu de temps avant sa naissance. Sa mère, à peine âgée de 18 ans, commençait des études de droits à Paris. Une femme intelligente et cultivée, sans aucun doute. Peu de temps après son admission, elle rencontrait un étudiant suédois. La flèche de Cupidon eut un effet immédiat. Quelques mois plus tard, elle tomba enceinte. Ne préférant pas continuer ses études et voulant garder l’enfant, elle décidait de rentrer à Reims, sa ville natale. Malgré cette nouvelle surprenante et la distance, les amoureux continuèrent à sa voir. Après neuf mois, naissait Jörgen, le frère ainé de Kerstin. La fillette vint au monde deux plus tard.

Ce fut la rupture. Rupture avec le Suédois. Rupture avec la famille. Les grands-parents de Kerstin ne voulaient plus revoir leur fille. Qu’elle tombât enceinte une fois par accident, ça passait. Mais la deuxième fut de trop. Alors que la jeune femme venait de reprendre des études d’infirmière, elle se retrouva seule, sans personne. Elle se retrouva ballotées entre maison d’accueil et logements sociaux, tout en essayant de jongler avec plusieurs petits boulots.

Il y eut enfin une période de stabilité quand elle se trouva un nouveau compagnon. Du moins, jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il participait à un trafic de stupéfiants grâce à la police débarquant dans le logement familial. Kerstin avait dix ans à ce moment-là et venait tout juste d’avoir une petite sœur, Anna. Depuis ce jour, elle comprit qu’elle avait une part de responsabilité à jouer.

Tandis que son frère et sa sœur se complaisaient dans une certaine suffisance, Kerstin tenait bon. Elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour aider sa famille, et plus particulièrement sa mère. Kerstin n’avait qu’une idée en tête : lui rendre la vie plus facile.

La vie de la fillette se compliquait un peu plus au collège. Dans une situation financière qui jouait au somnambule, sa mère ne pouvait pas se permettre de folies. Cependant, les élèves ne pouvaient pas le comprendre. Les seules choses qui voyaient en Kerstin et sa fratrie se limitait à l’aspect matériel. Vêtements bas de gamme, affaires scolaires bas de gamme, téléphone bas de gamme. Bref, pas facile de se faire des amis dans ces conditions. Néanmoins, la gentillesse naturelle de la fillette l’aida à trouver deux-trois personnes de confiance.

D’une certaine manière, Kerstin apprit à plus ou moins gérer une maison. A côté, elle essayait de faire son possible pour obtenir de bonnes notes, espérant recoller l’image brisée de sa famille. Sans compter le fait qu’elle tentait de calmer les disputes, parfois violentes, entre son frère et sa mère. Probablement influencé, Jörgen tomba rapidement dans le cercle vicieux de la drogue. Il répétait sans cesse qu’il détestait ses sœurs et sa mère, que la vie était merdique et qu’il se casserait. Ce qui devait arriver, arriva : il partit à l’âge de seize ans.

Depuis ce jour, Kerstin en avait toujours voulu à son frère. Etant son ainé, elle espérait pouvoir compter sur lui malgré son attitude je-m’en-foutiste. Paradoxalement, elle serait prête à lui pardonner. Peut-être qu’elle pourrait le raisonner et ainsi lui faire comprendre qu’il manque beaucoup à sa famille.